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Journal documentaire
2 octobre 2016

montaigne en italie

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Finalement, il ne m’aura fallu qu’environ deux mois pour venir à bout des 228 pages que couvre le Journal de voyage de Montaigne en Italie, par la Suisse et l’Allemagne, dans l’édition de la Pléiade (j’en ai dit un mot le 6 août), dans mes rares moments de loisir, pendant lesquels je fréquentais aussi d’autres livres. Ce Journal comprend deux parties, dont la première (104 pages, soit près de la moitié de l’ensemble) a été rédigée, ou seulement écrite sous  la dictée, par un secrétaire, dont j’ignore quel était le degré d’autonomie. On y parle de Montaigne à la troisième personne. Vient ensuite une seconde partie, écrite par Montaigne lui-même. Au début, il donne une explication incomplète : «Ayant donné congé à celui de mes gens qui conduisait cette belle besogne, et la voyant si avancée, quelque incommodité que ce me soit, il faut que je la continue moi-même.» Cela ne dit ni qui était la personne, ni le motif du congé, peut-être demandé par le scribe lui-même, pour quelque raison. Cette seconde partie peut à son tour être divisée en trois : Montaigne en écrit d’abord une petite moitié (53 p) en français, puis une grosse moitié (65 p) en italien (un italien à sa façon, car de son propre aveu il ne connaissait pas bien la langue), et enfin, la frontière étant repassée, il revient au français dans les six dernières pages. La partie écrite en italien est la plus fluide, la plus facile à lire aujourd’hui, car dans cette édition elle est traduite en un français très semblable à la langue actuelle, même si le traducteur lui a donné un air d’époque, par exemple en terminant les imparfaits en oi.
J’ai remarqué, au moment où les voyageurs passent à Munich, une curieuse réflexion à propos des «plus belles écuries que j’aie jamais vues en France ni Italie», Italie où ils ne sont pas encore arrivés. Est-ce à dire que le texte a été repris par la suite, ou s’agit-il d’une réflexion personnelle du secrétaire, qui aurait déjà visité ce pays?
La lecture achevée, je maintiens ma première impression d’un texte pas passionnant, mais d’une honnête curiosité. Montaigne ne destinait pas à la publication ce journal, qui à bien des égards semble en effet n’être qu’un aide-mémoire personnel, où sont consignés des détails sur sa santé (ses urines, ses ventosités) et sur les établissements de bain où il est passé. Une des principales motivations du voyage, outre de voir du pays, était de prendre les eaux partout où c’était possible, pour essayer de soigner ses coliques néphrétiques. Plusieurs fois il m’a fait penser à mon père, qui a souffert du même mal, quoique moins gravement. A part ça les deux hommes n’avaient guère de points communs, hors la coïncidence de dates, car ils étaient tous deux nés en l’an 33, à quatre siècles de distance. Mais en 81 l’un s’éteignait, quand l’autre avait encore l’énergie de se promener dans Rome.
Dans le trajet à cheval entre deux étapes, Montaigne ne manque pas de décrire le paysage traversé, ni d’indiquer si lui et ses compagnons suivent un cours d’eau, et sur quelle rive. Il signale régulièrement les endroits où ils franchissent les rivières, sans doute parce qu’à cette époque un pont était encore une aubaine, alors qu’aujourd’hui c’est un objet banal. Il ne dit jamais «à droite», ou «à gauche», mais toujours «à main droite», ou «à main gauche». Il me semble avoir entendu cela en Dordogne, plus souvent qu’en Charente.
J’ai essayé de noter les noms des auberges où les voyageurs se sont arrêtés, qui me plaisent par leur simplicité : au Brochet, à la Couronne, à l’Etoile, au Tilleul, à la Rose, à la Rose encore, à l’Ange, à la Couronne encore, à l’Ours, au Vase d’Or, au Faucon. J’aimerais voir leurs enseignes. Je me suis aussi amusé à relever les comparaisons entre les villes et autres lieux de l’étranger, avec ceux de France, du Sud-Ouest en particulier. Comme cela forme une belle page, j’en ferai à part une Lettre documentaire.
Montaigne quitte avec regret l’Allemagne, et semble l’avoir préférée à l’Italie, à laquelle toutefois il a trouvé du charme, et où il serait resté plus longtemps, s’il n’avait été rappelé en France, car c’est pendant son séjour qu’il a appris son élection à la mairie de Bordeaux.
Quand il dit que Trante (Trente, p 1173) est une «ville un peu plus grande que Aagen», l’éditeur indique en note qu’Aagen serait Auer (aujourd'hui Ora), mais je pense qu’il s’agit plus simplement d’Agen.
Il voit au moins deux fois chez les Italiens des «arbres rangés par ordre où pendent leurs vignes» (1188), des «arbres bien rangés, et ces arbres couverts et rattachés de vigne de l’un à l’autre» (1262). J’avais entendu dire que les Romains faisaient ainsi monter leur vigne aux arbres, mais je ne sais pas si cela présente une commodité particulière, ou si c’est tout simplement parce qu’on ne disposait pas encore de fil de fer. J’aimerais aussi savoir s’il y avait pour cela une espèce d’arbre préférée, mais Montaigne n’en dit rien.
Dans un parc, il voit «une très belle et grande volière», où sont de «petits oiseaux, comme chardonnerets, qui ont à la queue deux longues plumes» (1194). Peut-il s’agir de Mésanges à longue queue? Ou alors une espèce exotique.
J’ai été surpris que quelques scènes horribles (des exécutions publiques, 1210-1211, une circoncision chez les Juifs, 1214-1216) soient décrites sur un ton neutre, sans indignation exprimée, ni aucun commentaire. Je me suis demandé si c’était par indifférence, ou par prudence.
Il ne plaisante pas souvent, mais se moque de lui-même quand il constate, sur un manuscrit de saint Thomas d’Aquin, que celui-ci «écrivait mal, une petite lettre pire que la mienne» (1222).
Il y a un fâcheux incident, un jour où il gifle son voiturier. Il ne dit pas pourquoi il a fait ça, mais signale que c’est «un grand excès selon l’usage du pays» (1246), laissant entendre que ce n’en était pas un pour lui. Voilà qui donne à notre humaniste un air plus sombre qu’on ne se le représente d’ordinaire.
Au sanctuaire de Notre-Dame de Lorette, il fait accrocher un tableau figurant son portrait, selon la coutume, et il y en a déjà tant d’autres, qu’il a du mal à trouver une place pour le sien (1248). On aimerait le voir, plus d’un curieux a dû rechercher s’il y était encore.
J’hésite à comprendre ce qu’il veut dire, quand il indique qu’au Bain della Villa, il y a certaine eau que l’on peut boire au lit, avec pour recommandation de se «tenir l’estomac et les pieds chauds, et ne se branler» (1268).
Il semble apprécier une certaine égalité de condition, qu’il observe dans les campagnes italiennes. «Ici les paysans et leurs femmes sont habillés comme les gentilshommes», note-t-il un jour (1275), et un peu plus loin : «On ne voit pas chez les nations libres la même distinction de rangs, de personnes, que chez les autres peuples. Ici les plus petits ont je ne sais quoi de seigneurial à leur manière» (1289).
A l’occasion il participe à des bals, et en donne lui-même un ou deux. Et il ne manque pas de remarquer la beauté des femmes, ou leur laideur, ni de visiter les quartiers de Rome où des courtisanes se tiennent à leur fenêtre, ou dans la rue. Il y en a qui n’ont pas dû prendre la poussière.
A Pise, il entend parler des cultures différentes : «Le 22, au point du jour, trois corsaires turcs abordèrent au rivage voisin, et emmenèrent prisonniers quinze ou vingt pêcheurs et pauvres bergers» (1303).
Il ne peut pas se plaindre de l’accueil des Italiens, chez qui il a été en général «agréablement logé» (1306). «Je dormais, j’étudiais quand je voulais.» Heureux homme, que ne puis-je en dire autant.
J’ai noté quelques curiosités du langage de Montaigne, sans toujours être sûr de ce qui tient au parler de l’époque, ou de ce qui est plus proprement montaigneux. Il dit labouré, au sens d’ouvragé, parlant d’un objet artisanal. Il écrit abres, pour arbres. Lisable. Oriunde, pour originaire, ce qui rappelle l’oriundo espagnol ou italien. Il appelle la région de Plaisance (Piacenza) le Plaisantin. Il dit le dernier octobre, là où nous dirions le dernier jour d’octobre, même si nous disons aussi simplement le premier octobre.
Je conclurai ces notes en citant une des phrases que j’ai le mieux aimé, écrite dans un endroit où il était bien installé : «De ma chambre j’avais toute la nuit bien doucement le bruit de cette rivière» (1264).

(En photo : Pollone, Piémont, Italie, trouvé sur la page Fb de Places and moments.)

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Commentaires
R
Certes si c'est un roman...<br /> <br /> <br /> <br /> La plupart des biographes s'accordent à dire que ce sont des malversations qui sont à l'origine du renvoi du secrétaire. Ce n'est peut-être qu'une conjecture.<br /> <br /> Montaigne a conservé son amitié à du Ferrier jusqu'au bout ; l'aurait-il fait si l'histoire de moeurs était avérée ?<br /> <br /> <br /> <br /> sur Arnaud du Ferrier :<br /> <br /> <br /> <br /> Feuillet de CONCHES<br /> <br /> <br /> <br /> Lettres inédites de Michel de Montaigne<br /> <br /> 1863<br /> <br /> <br /> <br /> Le président Arnaud du Ferrier, qui, dans ce grand siècle de jurisprudence, fut un des plus savants jurisconsultes de Toulouse, où le Parlement était illustré par la présidence de Duranti, apparaît sous la plume de Montaigne, dont il était l'ami. Du Ferrier, homme considérable dans son temps, fut ambassadeur de France au concile de Trente, puis auprès de la seigneurie de Venise. Du Plessis-Mornay, dont on a de curieux mémoires et de si nombreux ouvrages, Du Plessis, dont la netteté de caractère et la sincérité offrent plus d'un trait de ressemblance avec les qualités de Montaigne, et qui par malheur n'eut dans son style que l'expression forte sans jamais l'avoir pittoresque, parle de Du Ferrier avec distinction. Un écrivain, qui s'est montré merveilleusement instruit des hommes et des choses en son histoire des guerres civiles de France, Davila, a fait du président un portrait remarquable, dans lequel il le loue avec délicatesse pour le raffinement de son esprit et l'excellence de sa doctrine. Séduit par le protestantisme, qu'il finit par embrasser, Du Ferrier ne pouvait manquer de devenir suspect à la cour et d'en être persécuté. Voyant ses services méconnus en haut lieu après sa dernière ambassade, il prit parti pour le Roi de Navarre, qui goûta ce haut mérite, voulut d'abord le nommer président du conseil particulier qu'il entretenait près le Parlement de Paris, et lui donna les sceaux de son petit royaume, sur le refus de Du Plessis. Il mourut en 1585, à soixante-dix-neuf ans.<br /> <br /> <br /> <br /> Paul BONNEFON<br /> <br /> Montaigne, l’homme et l’œuvre<br /> <br /> 1893<br /> <br /> <br /> <br /> Ils allèrent à Venise, car Montaigne déclarait « qu'il n'eût su arrêter ni à Rome ni ailleurs en Italie en repos sans avoir reconnu Venise ».<br /> <br /> Ils y séjournèrent donc pendant une semaine, et Montaigne observa du plus près qu'il put les mœurs de cette République célèbre. Sa première visite fut pour le jurisconsulte Arnaud Du Ferrier, notre am¬bassadeur. C'était un dimanche matin : bien qu'il penchât d'une façon évidente « vers les innovations calviniennes », Du Ferrier amena Montaigne à la messe et le retint ensuite à dîner. Nul ne pou¬vait mieux que son hôte donner au nouvel arrivé les renseignements nécessaires. Ambassadeur pour la seconde fois à Venise, où il représentait la France depuis plus de dix ans, Du Ferrier était un homme d'une grande science, que ses deux séjours dans la ville des doges avaient mis au courant de tout. Causeur peu brillant, manquant de « vivacité et de pointe», mais diplomate aux idées larges, à l'esprit libéral, Du Ferrier apprit à son convive ce que son expérience lui avait enseigné à lui-même. Il lui indiqua comment il convenait de se tenir dans cette cité soupçonneuse pour ne pas éveiller la suscepti¬bilité du pouvoir.<br /> <br /> <br /> <br /> COURBET et ROYER<br /> <br /> <br /> <br /> Montaigne Les Essais tome 5<br /> <br /> 1900<br /> <br /> <br /> <br /> Une cruelle déconvenue attendait Montaigne à Venise. Il se réjouissait de revoir dans cette ville Arnaud du Ferrier. L'entrevue fut profondément affligeante. L'ambassadeur de France avait été contraint par le roi d'emprunter une assez forte somme à la Seigneurie sur un dépôt de diamants de la couronne. À chaque échéance fixée entre les deux parties, les remboursements étaient ajournés. Henri III ne se faisait aucun scrupule d'être jugé mauvais débiteur et l'influence politique de son représentant s'en trouvait considérablement affaiblie, bien qu'il fût personnellement estimé. D'autre part les favoris du prince essayaient de discréditer du Ferrier pour enlever son poste au profit d'une de leurs créatures. Le diplomate réclamait, sans pouvoir l'obtenir, son rappel. Il vivait humilié et malheureux près d'une république justement irritée.<br /> <br /> Ces tristes conjonctures anéantirent chez Montaigne tout l'agrément qu'il s'était promis de goûter à Venise dans la compagnie d'un homme politique hors de pair. Il abandonna donc cette ville qui, plus que Rome, l'avait d'abord attiré.
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P
Ne connaissant pas le livre, nous ne pouvons que supposer. Le peu de clarté de l'affaire aura peut-être incité quelque romancier à imaginer les détails. Et après tout, on doit pouvoir être à la fois homosexuel et intègre. Mais d'où tenez-vous l'histoire des malversations?
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R
Bizarre ce message sur le secrétaire de Montaigne dont l’identité précise est inconnue et qui fut congédié semble-t-il pour des malversations dans les comptes du voyage dont il était aussi le gestionnaire.<br /> <br /> À l’époque du voyage de Montaigne l'ambassadeur de France à Venise était Arnaud du Ferrier, homme intègre s'il en est d'après les témoignages du temps.
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P
Merci, Messieurs.<br /> <br /> Krapo, tu me diras, si tu retrouves.
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K
je me suis régalé de ton écriture et figures toi que l'hiver dernier j'ai lu un livre ou il est question de voyage entre la Françe et l'Italie à l'époque de Montaigne et que mon attention à été retenu quand à un moment il est raconter que l'ambassadeur de Françe à Venise croise dans ses voyages Montaigne lui même en voyage et repart avec le secrétaire de Montaigne dont il est tombé amoureux!<br /> <br /> qu'elle est donc ce livre,? je vais tacher de m'en rappeler hein;
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