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Journal documentaire
29 août 2010

Sur le Journal d'Albert

 

v2_8251_1752_8_1Cet été je suis parvenu à la fin d’un volume de plus de 600 pages, que faute de temps je lisais par petits bouts depuis peut-être deux ans, et que je n’étais d’ailleurs pas pressé de quitter, c’est le copieux Journal d’une année, d’Albert Caraco, paru chez L’Age d’Homme en 2006. Est-ce par coquetterie, l’auteur l’a écrit quotidiennement sur une durée exacte d’un an moins un jour, puisque cela va du 16 octobre 1957 au 14 octobre 1958. S’agissant d’un livre plus ancien, je m’attendais à y trouver un Caraco plus mesuré, moins vitupérant que dans ses Semainiers des années 60. Au contraire Albert y éclate de rage et de style, tour à tour sombre et coloré, tragique et enjoué, méditatif et imprécateur. Ses commentaires abordent mille sujets, la politique et l’histoire, les races et les religions, la littérature et les beaux-arts, parfois sa famille, ses promenades et sa santé. Il insère comme intermèdes de savoureux portraits et souvenirs, quelques dialogues, des poèmes. Cet ouvrage brûlant, contenant mille horreurs et merveilles, débordant de haine, d’intelligence et de savoir, me choque quelquefois, me fascine souvent. C’est un texte substantiel et beau, qui donne à réfléchir et qui éblouit par sa maîtrise.

Le livre est écrit au moment de l’histoire française où la guerre d’Algérie s’intensifie et où de Gaulle revient au pouvoir. Les sentiments de Caraco évoluent vis-à-vis du Général, qu’il méprise d’abord, et qu’il se met à estimer quand il le voit à l’œuvre (p ex p 504). Sur le conflit («drame par excellence, où chacun a raison, mais nul ne fera grâce», 208), il ne se fait guère d’illusions («Le mieux serait présentement d’abandonner le Maghreb à son indigence», 321). Au regard des controverses d’aujourd’hui, on notera la relation de ce fait divers, que «plusieurs centaines de femmes musulmanes se sont émancipées en brûlant solennellement leur voile» (429). Il est surprenant de trouver dans ces pages une allusion à un homme politique encore actif de nos jours, le jeune député Le Pen, que l’auteur estime («un bon Français, comme il n’en reste pas beaucoup, il a du caractère et de l’audace», 106). Malgré quelque sympathie pour Marx et le communisme, Caraco s’affiche très à droite, se référant plusieurs fois au journal Rivarol, faisant à l’occasion l’éloge de «Français de la vieille roche» (60) et avouant son peu de foi dans la démocratie («La démocratie? Un vain mot. Les maîtres sont toujours les maîtres», 171, et plus loin «La classe dominante se tient derrière le rideau, la classe dominée passe pour souveraine, au beau milieu quelques fantômes se disputent une apparence de pouvoir qu’ils jurent assumer au nom du peuple», 504). Quant à l’égalité, «c’est la moitié du temps le droit de manger son prochain, c’est une prime à la férocité bien davantage qu’aux vertus» (174). Albert avance parfois des vues politiques simples mais de bon sens, qui rappellent le «communisme Labiche» de Ferdine, comme la nécessité que chaque famille ait sa maison (601) et chaque enfant sa chambre (269, 574).

Sur l’avenir des relations entre l’Europe et ses colonisés, le prophète Caraco ne manifeste aucun optimisme : «L’Europe n’est plus qu’un derrière immense et Rome bénit les pieds qui le frappent» (112) … «les opprimés abusent du pouvoir, dès que les fers ne les écrasent» (203) … «L’Afrique envahira l’Europe, la métropole devenant la colonie de sa province» (435) … «Avant trois générations le peuple français aura changé de figure» (440) … «et plus nous donnerons, plus nous serons abominés» (547). L’auteur est de son propre aveu raciste, il ne peut encadrer le christianisme («Les prétendus chrétiens ne sont que des bâtards de Juifs…» 144), encore moins l’islam (je m’abstiendrai prudemment de toute citation sur le sujet) et les races de couleur (idem). Mais chez lui le racisme n’est qu’une des facettes de son pessimisme général. Il n’aime pas l’humanité, il n’aime pas la vie : «Le monde est laid et la plupart des hommes ne sont que des bêtes. A la réserve d’une poignée d’esprits admirables, le reste n’est que bras, jambes et queues…» (155) … «La haine de la vie est ce que je découvre en moi de plus profond» (605). Il n’attend rien de l’avenir, il songe déjà au suicide : «J’admire la sagesse des payens et principalement celle qui consistait à se détruire, je voudrais périr de mes propres mains et choisir l’heure du départ…» (540), ce qu’il fera plus tard en effet.

C’est peut-être le plus juif de ses livres que j’aie lu, Caraco revient là sans cesse et sous mille angles sur la question des Hébreux, qui constituent selon lui une race («Nous sommes une race et nous payâmes chèrement le droit de l’être», 29), évoquant sans pudeur leurs qualités et leurs défauts, leur passé et leurs perspectives, leur supposée supériorité sur le reste de l’espèce (j’espère que peu de Juifs sont aussi méprisants que lui pour le goy de base). Il a plusieurs développements notables sur l’opposition spirituelle des Juifs et des Grecs. Il a son franc parler, ne se gênant pas pour déclarer tout haut ce que d’aucuns, j’imagine, pensent tout bas, y compris dans la goyerie. Il présente parmi les preuves de la supériorité juive leur fertilité intellectuelle et leur pouvoir d’influence : «nous n’avons pas un savant musulman, l’on compte peu de savants catholiques, le nombre des savants ayant du sang juif dans les veines dépasse ce qu’on ose publier, les Juifs étant les premiers à se taire là-dessus, afin que les Gentils ne s’en alarment» (434) … «Les Juifs sont les premiers à nier l’influence qu’ils exercent…» (315). Il leur donne de prudents conseils : «Je conseille à nos Juifs de n’être jamais vaniteux. Qu’ils règnent, s’ils le peuvent, mais qu’on n’en sache rien, dissimulés et tirant les ficelles» (66). Je me demande s’il ne se laisse pas sombrer dans le délire, car il n'a pas l'air de plaisanter quand il affirme avoir trouvé une méthode infaillible pour reconnaître un Juif, mais en l’examinant uniquement du profil droit et non du gauche (454). Quelque déplaisants que puissent être certains de ses propos, il faut au moins reconnaître que ce ne sont pas des paroles en l’air mais bien argumentées, l’auteur a visiblement des lectures et de l’expérience. Il faut aussi remarquer que son enthousiasme pro-judaïque ne l’entraîne pas à la complaisance systématique, il dresse au contraire des portraits peu amènes de certains Juifs, dans lesquels il voit laideur et bassesse, ainsi un oncle à lui, «lugubre s’il n’était frivole, frivole s’il n’était lugubre, laid, ayant une femme laide, des amis laids et vivant laidement dans une rue plus laide. Je n’aimais pas cet oncle, ce que l’on mangeait à sa table me donnait la nausée, il me rendait antisémite (!) mais je lui dois beaucoup, il me servit de repoussoir, il me montra ce qu’il ne faut pas être …» (228). Son point de vue n’est pas exclusif mais nuancé, il avoue le cas échéant sa préférence pour les moeurs non juives, ainsi sur la circoncision («Je pense qu’il ne faut pas mutiler le corps, il n’est pas moins ignoble de percer le nez que d’ôter le prépuce : que Dieu le veuille suffit à prouver que Dieu n’existe», 74) ou sur le célibat des prêtres («La continence, l’un des fondements de toute vie spirituelle : les prêtres mariés je les appelle prêtres à demi, l’erreur des Juifs est de prétendre que l’homme seul n’est pas un homme … les moines d’Occident ou ceux de l’Inde s’élèvent, oui, de cent coudées au-dessus de vos rabbins de village» 197, 199). Un point surprenant est son opinion sur Céline et Bloy, qu’il considère à la fois monstrueux et intéressants, car ils «nous voient mieux que nous ne nous voyons nous-mêmes, on doit se pencher sur leurs livres, on doit les méditer…» (220).

Au chapitre de ses goûts et de ses dégoûts, notons encore que Caraco n’aime pas Buffet, Messiaen, Prévert («trois fois zéro», 323), les animaux («Les animaux me plaisent d’assez loin, je leur reproche souvent de puer et leurs amours me donnent la nausée», 70), Cézanne («abominable», 400), la surpopulation (passim) etc, mais aime bien Céline («il a tout vu, tout su, tout compris et rendu, je le lirais trois ans de suite et ne m’en lasserais un jour, il méritait le Prix Nobel», 127), les jardins (190, 567), Léautaud («dont j’aime fort le style», 615), Dali («l’un des rares peintres dignes de ce nom», 280), Montaigne («un homme merveilleusement à l’aise», 436), le pont Saint-Charles à Prague (467), Chardonne («il semble un aigle planant sur la basse-cour», 583). C’est par méprise, je suppose, qu’il évoque deux fois l’écrivain argentin Borgès comme s’il était déjà mort (79, 214).

On trouve disséminées au fil des pages un certain nombre d’indications sur la chronologie de sa jeunesse. Je les résumerai ainsi :
- Juillet 1919 : naissance à Constantinople d’un père juif espagnol et d’une mère juive russe.
- 1920-1923 : vit «entre Prague et Vienne».
- 1924-1929 : vit à Berlin (de 1926 à 29, habite au Kurfürstendamm, n° 199 ; en 29, donc à 10 ans, il ne parle que l’allemand).
- 1929-1939 : vit à Paris jusqu’à la guerre (en 1929-30 habite 47 boulevard Suchet, de 34 à 37 avenue Paul Doumer).
- En 1939 sa famille se procure des passeports du Honduras, où elle ne mettra jamais les pieds, puis quitte la France pour l’Amérique du Sud, via Lisbonne. Ils débarquent à Buenos Aires en 1940 et vivront en Argentine, au Brésil et en Uruguay jusqu’en 1948, date du retour définitif en France.

Je recommande le livre captivant de cet auteur étrange, qui reconnaît être «parfois terriblement sévère» (203), et dans ses moments de légèreté feuillette Elle et Marie-Claire. «J’ai parlé seul» note-t-il avec amertume (119), tout en étant confiant dans la qualité de ses écrits : «Je suis témoin, mes œuvres restent et les Français de souche les goûteront» (220). Je peux assurer qu’il y en a au moins un.

 

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Commentaires
P
Je vois que Google Books permet de lire de larges extraits : http://books.google.fr/books?id=dfQMNASEvbQC&printsec=frontcover&dq=caraco+journal+année&source=bl&ots=fnfDbJFWkB&sig=DrmTtPVwmNJ67KsW8u8TgSG1ZHk&hl=fr&ei=4sN6TOOeD6WK4gaz_4TXBg&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CBkQ6AEwAA#v=onepage&q&f=false
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