la rochefoucauld

Il me semble que j'avais lu La Rochefoucauld jadis, ou du moins essayé, et qu'il ne m'avait pas laissé grande impression, malgré quoi récemment je suis revenu à ses Maximes, dont j'ai trouvé par hasard un recueil soigneusement édité par un certain Jean Lafond (Folio, 1990). A vrai dire la première centaine de ces pensées m'a laissé assez froid, soit que je les trouve trop obscures, ou trop fades, soit qu'elles me paraissent infondées (par exemple la 52 : «Quelque différence qui paraisse entre les fortunes, il y a néanmoins une certaine compensation de biens et de maux qui les rend égales»). Mais en poursuivant j'en ai découvert plusieurs qui m'ont convaincu de l'excellence de ce bon François. Je copierai ici mes dix préférées de ses 504 Réflexions ou Sentences et Maximes morales.

       112. Les défauts de l'esprit augmentent en vieillissant comme ceux du visage. (C'est terrible, j'espère qu'il a tort, me dis-je en pensant à moi qui ne suis plus tout jeune, et pourtant je vois bien que par exemple ma timidité, ma gaucherie, ma lenteur, mon indécision en effet ne s'arrangent pas avec l'âge).

       113. Il y a de bons mariages, mais il n'y en a point de délicieux.

       138. On aime mieux dire du mal de soi-même, que de n'en point parler.

       250. La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu'il faut, et à ne dire que ce qu'il faut.

       311. S'il y a des hommes dont le ridicule n'ait jamais paru, c'est qu'on ne l'a pas bien cherché.

       338. Lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons. (On devrait souffler celle-ci à nombre de haineux qui s'ignorent, et prétendent «lutter contre la haine»).

       344. La plupart des hommes ont comme les plantes des propriétés cachées, que le hasard fait découvrir.

       372. La plupart des jeunes gens croient être naturels, lorsqu'ils ne sont que mal polis et grossiers. (Et encore, il n'avait pas vu ceux d'aujourd'hui).

       387. Un sot n'a pas assez d'étoffe pour être bon.

       496. Les querelles ne dureraient pas longtemps, si le tort n'était que d'un côté.

       Quel maître. A chacune de ces phrases, je pense : comme c'est bien vu, et bien dit. J'ai remarqué cette clairvoyance qu'il a souvent, de se garder de généraliser : il recourt volontiers à des formulations prudentes comme «la plupart des hommes» (et non tous), «presque tout le monde», «souvent», «presque toujours»...

       Dans cette édition de poche, le recueil principal est suivi de deux recueils secondaires. Le premier est celui des 74 Maximes supprimées après la première édition, parmi lesquelles j'ai retenu ces quatre :

       7. La complexion qui fait le talent pour les petites choses est contraire à celle qu'il faut pour le talent des grandes. (Cette idée m'intéresse mais chiffonne mon tempérament démocratique, j'espère qu'il a eu raison de la supprimer).

       10. On se console souvent d'être malheureux par un certain plaisir qu'on trouve à le paraître.

       28. On ne blâme le vice et on ne loue la vertu que par intérêt. (Là aussi, j'espère qu'il se goure).

       39. Quelque incertitude et quelque variété qui paraisse dans le monde, on y remarque néanmoins un enchainement secret, et un ordre réglé de tout temps par la Providence, qui fait que chaque chose marche en son rang, et suit le cours de sa destinée. (Celle-ci m'apporte plus de rêverie que de conviction).

       L'autre recueil secondaire est celui des 57 Maximes écartées, qui figurent dans les papiers de l'auteur mais qu'il n'a pas publiées. J'en retiendrai aussi quatre :

       16. Il est difficile de comprendre combien est grande la ressemblance et la différence qu'il y a entre tous les hommes.

       23. Ce qui nous fait croire si facilement que les autres ont des défauts, c'est la facilité que l'on a de croire ce qu'on souhaite.

       30. On loue et on blâme la plupart des choses parce que c'est la mode de les louer ou de les blâmer.

       53. Il n'est rien de plus naturel ni de plus trompeur, que de croire qu'on est aimé. (En effet, que de déconvenues à ce sujet).

       Le livre contient aussi un recueil de Réflexions diverses, dissertations plus longues que j'avoue n'avoir pas eu la patience de lire, sauf la dix-neuvième et dernière, «Des événements de ce siècle», qui expose sur douze pages des cas d'ascension ou au contraire de déchéance sociale imprévisibles, illustrant les aléas du destin, qui sont un de mes sujets de méditation favoris.

       Enfin le volume comprend le recueil des 81 Maximes de Madame de Sablé, écrivaine et marquise dont le salon parisien a promu le genre littéraire des pensées. Ces maximes ont été écrites avant celles de La Rochefoucauld mais n'ont été publiées qu'après la mort de la dame. J'en citerai au moins celle-ci :

       33. Il faut s'accoutumer aux folies d'autrui et ne se point choquer des niaiseries qui se disent en notre présence. (Pensée très utile aujourd'hui pour qui fréquente les réseaux sociaux).