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Journal documentaire
11 novembre 2020

le métier de regarder

Oficio de mirar

Comme je n'avais pas bien le temps de lire en totalité les quelque trois cents pages d'Oficio de mirar (le métier de regarder) d'Antonio Pereira (1923-2009) je me suis contenté de le consulter de-ci de-là en m'inspirant de la table des matières et de l'index des personnages cités. Il s'agit d'un recueil de courtes chroniques rédigées de 1970 à 2001 (Valencia : Pre-Textos, 2019). Pereira fut principalement l'auteur de poèmes et de contes, et dut pendant un temps gagner sa vie dans le commerce d'électro-ménager, mais il connut assez tôt l'activité sociale des écrivains plus dégourdis que moi, ceux pour qui quasiment pas une semaine ne passe sans qu'ils soient appelés ici et là pour des rencontres, discours, causeries, signatures, etc. L'objet de ces chroniques est de rapporter des souvenirs recueillis dans ces nombreux déplacements, au cours desquels l'auteur croise à peu près tous les hommes de lettres d'Espagne et quelques étrangers. Ce livre m'attirait par sa belle présentation, car chaque texte commence en haut de la page et se termine en général avant le bas, ou quelquefois déborde jusqu'à la suivante, rarement au-delà. Pereira est un bon conteur, que l'on a plaisir à écouter, si je peux dire. De ce que j'ai lu, je retiens entre autres cette page plaisante (20) sur un repas pris en mai 1970 dans une auberge de Normandie, à Pont-Saint-Pierre, où il y a au mur un écriteau disant «La maison ferme le lundi», sous lequel une main a rajouté «Mais, le mardi...!». Page 29, en juillet de la même année, le conteur lit une critique selon laquelle certain roman mérite impérativement à son auteur une place dans l'avant-garde, et conclut : «Je n'aimerais pas que l'on écrive cela sur moi.» Page 127, en 1978, une réunion enfumée en milieu progressiste lui inspire cette réflexion : «Beaucoup de gens croient que la démocratie et la liberté interdisent de s'abaisser à dire oui, monsieur, non, monsieur.» Page 186 je m'amuse de son aveu qu'il lit, en 1982, un livre de Dale Carnegie, le pionnier du développement personnel. Ses collègues se moquent, lui disent que ce n'est là qu'une «americanada», une américainerie, mais le bouquin lui plait au point qu'il le relit (Como suprimir les preocupaciones y disfrutar de la vida, ce doit être celui qui est commercialisé en français sous le titre Comment dominer le stress et les soucis. Pour ma part je n'ai jamais lu Dale Carnegie mais cela me rappelle les fréquentes publicités, dans les journaux de ma jeunesse, pour ses ouvrages du genre Comment parler en public ou Comment se faire des amis. Je pense maintenant que ces annonces devaient être diffusées par les héritiers ou les successeurs, car lui-même était mort avant que je naisse). L'article le plus long est probablement celui de sept pages (160-166) dans lequel l'écrivain voyageur rapporte l'entretien que lui a accordé Borges à Buenos Aires en 1980. Dans la chronique suivante, portant sur la même rencontre, Pereira explique qu'il était accompagné de son épouse Ursula, et qu'à un moment Borges demande à la dame si elle sait ce que signifie son prénom. «Osa» (ourse) répond-elle. Et Borges la corrige en précisant : «Osita» (petite ourse). Ne serait-ce que pour avoir appris cette belle étymologie, Ursule Petite Ourse, à laquelle je n'avais jamais songé, je ne regrette pas d'avoir ouvert ce bon livre.

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