souvenirs de juillet
Il arrive que l'on soit pris d'une telle flemme d'écrire, que l'on a même la flemme d'écrire qu'on a la flemme d'écrire. C'est un peu mon cas, ces temps-ci.
Parmi mes activités mémorables du mois de juillet, j'ai lu la bonne biographie de Francisco Pizarro, conquistador de l'extrême, due à Bernard Lavallé (Payot, 2004). L'individu n'était peut-être pas très admirable, mais on ne peut manquer d'être frappé par l'énergie et le destin hors du commun de ce petit noble provincial bâtard, analphabète mais bon soldat, qui à 50 ans passés se lance à l'assaut d'un empire et parvient à s'en rendre maître. Il façonne déjà le Pérou d'aujourd'hui, créant villes et ports, et, comme son homologue Cortés au Mexique, fréquente une Indienne, et même plus d'une, initiant le métissage des populations. Un autre point étonnant est la médiocrité de la résistance indigène, car même si les Incas étaient affaiblis par une guerre de succession, et même si les Espagnols auraient de toute façon fini par les soumettre, il semble que la poignée d'hommes qui s'empare d'Atahualpa aurait très bien pu se faire massacrer et ne laisser aucun souvenir. Mais l'histoire est ainsi pleine de pizarreries.
En surfant au hasard, j'ai noté le slogan joliment mal traduit de l'entreprise Searchpdffiles : «Ce que vous avez besoin quand vous l'avez besoin».
Des craquements sonores, inhabituels, inexplicables et insistants des meubles de ma cuisine, au moins d'un meuble, mais je ne suis pas sûr duquel, m'ont fait penser que cette pièce est peut-être hantée.
Avec ma directrice de conscience, venue me rejoindre dans mon hacienda, nous sommes allés passer la dernière semaine du mois en Bretagne, dans un gîte rural situé aux abords de la forêt de Paimpont, dite de Brocéliande. En chemin, je notai sur la carte le nom intrigant d'une autre forêt, au nord-est de la Roche sur Yon, la forêt de l'Hébergement. Dans le livre d'or du gîte, un précédent locataire avait jugé le site «enchanteresque», et quelques autres avaient ensuite remployé sans gêne le même terme. Enchanté moi-même de la trouvaille, j'envisageai un temps d'en user à mon tour, avant de renoncer à tout commentaire. Sur une étagère s'entassait une pile de prospectus donnant le programme des innombrables marchés festifs, animations conviviales, ateliers thématiques, et autres attrape-nigauds dont notre époque a le génie. Peu inspirés par cette frénésie, nous nous contentâmes de nous promener. Nous disposions d'une carte Michelin de 1999, d'un Guide Vert de 1958, et d'un GPS, qui chacun nous rendaient service. Nous visitâmes quelques hauts lieux, comme le mont Saint-Michel, les remparts de Saint-Malo et les alignements de Carnac, et nombre de bas lieux qui n'étaient pas sans charme. Autour de chez nous beaucoup de maisons et parfois des hameaux entiers étaient bâtis en pierre rouge, semble-t-il une sorte de schiste, de bel effet, dont nous eûmes le meilleur exemple en arrivant au village de Lassy. Il y avait près de chez nous un de ces beaux bourgs, au nom frappant de Néant. Les bois présentaient quelques arbres remarquables et des fontaines. C'est une terre de bruyère semblable à celle du Bassin d'Arcachon, propice aux ajoncs et aux genêts, aux hortensias, au houx et au châtaignier, mais avec aussi des sorbiers des oiseleurs et des hêtres, que l'on ne voit pas en Gironde. J'ai pu prendre des notes sur les vitraux d'une douzaine d'églises. Nous avons rendu visite à Pierre Fablet, que je n'avais pas rencontré depuis presque trois lustres. Très aimable, il nous a offert des produits de son artisanat : le disque The night of the hunter project, et une bouteille de limonade au sureau. Un jour que nous dégustions des huîtres aux abords de Locmariaquer, nous avons pu voir sur le rivage, parmi d'autres oiseaux plus communs, un ibis sacré africain, corps blanc et tête noire, dont semble-t-il des spécimens vivent maintenant dans l'ouest de la France et notamment dans le Morbihan.
Par coïncidence, cette semaine où j'étais loin de chez moi, j'avais emporté un roman, contrairement à mes habitudes, et il s'agissait des Envoûtés de Gombrowicz, où il est aussi question d'une cuisine hantée, ha, ha. A ce qu'il semble l'auteur ne faisait pas grand cas de ce livre, qu'il avouait avoir écrit pour l'argent. Pour ma part, alors que ses principaux chefs d'oeuvre me tombent des mains, ce roman m'a beaucoup plu, on ne s'y ennuie pas une seconde et je ne lui reproche que d'être inachevé. (PS. L'édition en Folio comprend la fin inédite, m'apprend-on).