tandil
Le comédien Robert Le Vigan (1900-1972), de son vrai nom Coquillaud, et surnommé La Vigue par son copain Céline, avec qui il s'enfuit à pied à travers l'Allemagne en 1944-1945, eut ses biens confisqués et fut condamné en 1946 à l'indignité nationale et aux travaux forcés, pour faits de collaboration. Libéré en 1948, il s'exila d'abord en Espagne, puis en Argentine, où il se fixa et demeura jusqu'à sa mort à 72 ans, dans la ville de Tandil, qui comptait dans les 50.000 habitants au milieu du vingtième siècle, et se situe au pied des montagnes à 350 kilomètres au sud de Buenos Aires. De son côté l'écrivain polonais Witold Gombrowicz (1904-1969), surpris par l'éclatement de la guerre en 1939 alors qu'il était à Buenos Aires en croisière, demeura dans le pays et ne retourna en Europe qu'en 1963. Pendant son exil sud-américain il vécut principalement dans la capitale argentine, mais séjourna aussi dans quelques autres villes, dont Tandil où il se rendit cinq fois entre 1957 et 1960, y passant en tout quelque onze mois. En méditant ces données, je me suis demandé si les deux exilés s'étaient rencontrés, comme il est possible, ou s'ils avaient au moins entendu parler l'un de l'autre. J'ai cherché quelque temps à éclaircir ce point, en vain et j'y ai bientôt renoncé. A la vérité, même s'ils ont pu se croiser dans cet espace et cette période, je n'assurerais pas que l'acteur popu et l'auteur aristo auraient eu grand chose à se dire. Il existe des biographies de Le Vigan, que je n'ai pas à portée de main.
En revanche j'ai profité de l'occasion pour retourner fouiller dans les livres de et sur Gombrowicz, que j'ai feuilletés quelques soirées. J'ai revisité ses Peregrinaciones argentinas, où j'ai retrouvé quelques anecdotes qui m'avaient déjà vaguement amusé, comme les méchancetés racontées sur le compte du gros poète Neruda. J'ai parcouru El exilio procaz (l'exil insolent) : Gombrowicz por la Argentina, d'un certain Pablo Gasparini, qui ne m'a pas captivé, sauf au moment où il cite assez longuement une lettre à un jeune ami argentin, écrite de Berlin le 21 juillet 1963, dans laquelle l'écrivain évoque tardivement mais explicitement son homosexualité. Mais surtout j'ai relu avec grand plaisir le recueil de témoignages Gombrowicz en Argentine, publié par sa veuve en 1984. J'y trouve cent vues sur ce qui me séduit le plus chez le bonhomme, son propre personnage de noble déchu, ironique, provoquant. J'ai aimé autrefois quelques uns de ses écrits, comme son pamphlet Contre les poètes, ses Souvenirs de Pologne, et la version abrégée des Envoûtés, parue en feuilleton quand je lisais encore Le Monde, ce qui n'est pas hier, mais je dois avouer que ses oeuvres principales me tombent des mains, pourquoi le taire, et je leur préfère le style de l'auteur en tant que personne, ses manies, ses manières, ses réflexions, sa légende.