Atahualpa etc
Un peu de mon passé me remonte à l’esprit au moment où j’emprunte une compile de l’auteur-compositeur-interprète argentin Atahualpa Yupanqui, intitulée 30 ans de chansons. Mon père avait un vinyle de lui, que j’ai beaucoup écouté dans ma jeunesse gauchiste, j’en sais encore des bouts par cœur et je les fredonne à l’occasion, moitié pour me marrer, moitié pour les traits gracieux que l’on trouve quand même un peu partout, il faut l’admettre, y compris dans l’oeuvre des fascistes et ceux-ci fussent-ils rouges. Je vois sur la notice explicative de ce disque sans date, que l’artiste naquit il y a maintenant cent ans, le 31 janvier 1908. On ne dit pas comment s’appelait en réalité le chanteur «authentique» et «vrai», je suppose qu’il a adopté son surnom, le nom d’un ancien roi andin, pour se donner la bonne mine d’un Indien et d’un opprimé. On apprend en revanche que malgré son beau visage typé, il n’était lui-même que modérément indien et opprimé. Fils d’une Basque et d’un chef de gare métis, il avait certes tâté de la vie agreste mais a surtout connu le micro et la scène, jouissant d’un succès international dans les pays de l’Ouest comme de l’Est, bouffant d’ailleurs tranquillement à tous les râteliers, primé aussi bien dans la Tchécoslovaquie stalinienne que dans l’Espagne franquiste. Dans cette vingtaine de chansons, je retrouve sa reprise de la charmante berceuse traditionnelle antillaise raciste «Duerme negrito» («Fais dodo, Négrillon, car si tu ne dors pas, le diable blanc viendra dévorer ta petite jambe», je n’invente rien) et des braillements tiers-mondistes, sur le thème éculé «On est très malheureux misérables et c’est tout la faute aux autres, surtout aux vilains méchants yankees, mais nous-mêmes on a rien à se reprocher...» Parmi les titres que je ne connaissais pas, un «Hommage à Ernesto Guevara», le demi-dieu rebelle beau et con à la fois, et une «Canción para Pablo Neruda», le gros poète communiste milliardaire, confirment l’ambiance lourdement politisée. Au milieu de cette verroterie engagée scintille cependant la milonga «Campesino», quatre minutes et demie d’une beauté vraiment qui me serre la gorge. J’avais entendu par hasard cette chanson un soir en voiture ces dernières années, je ne l’avais jamais oubliée, je suis bien content de trouver là l’occasion de l’enregistrer. «Quand tu iras aux champs, Ne sors pas du chemin, Tu foulerais le rêve Des aïeux endormis...». Il y a aussi deux courtes pièces instrumentales pour la guitare, «El tulumbano» et «Danza de la paloma enamorada», qui sont deux merveilles de délicatesse. J’ai emprunté en même temps un Eno de 2001, Drawn from life, nullard, des chansons de Fairouz, assez jolies à entendre, même si je ne peux vraiment apprécier des chansons dont je ne comprends pas les paroles, enfin L’art du bouzouk (kurde), de la musique culturelle à tendance assommante.