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Journal documentaire
5 octobre 2007

Sur quatre vers de Pessoa

Au bas d’une page, dans un carnet d’il y a dix ans, j’ai retrouvé l’autre jour un brouillon, la traduction française que j’avais faite d’une strophe de Fernando Pessoa (1888-1935).

Nous passons et rêvons. La terre sourit. La vertu est rare.
L’âge, le devoir, les dieux pèsent sur notre bonheur conscient.
Espère le meilleur, prépare-toi au pire.
La prétendue sagesse à cela se résume.

Je ne suis pas sûr de bien tout piger, le deuxième vers surtout m’intrigue, mais la retrouvaille me ravit, ce quatrain me plaît encore, ou plutôt de nouveau, car je l’avais complètement oublié. Il est aphoristique, un rien crépusculaire, d’un registre à mi-voix. Il n’est pas à déclamer, plutôt à murmurer, comme un filon que l’on se passe discréto. A la bibli publique, de retour en ville, j’ai tôt fait de repérer le texte original, et d’autres éditions. C’est un poème en anglais :

We pass and dream. Earth smiles. Virtue is rare.
Age, duty, gods weigh on our conscious bliss.
Hope for the best and for the worst prepare.
The sum of purposed wisdom speaks in this.

Cette miniature est la première d’une série de quatorze, rédigées semble-t-il de 1907 à 1920, et réunies sous le titre d’Inscriptions, dans une plaquette de 1921, faisant partie des English poems de l’auteur. Des «inscriptions» peut-être mortuaires, que je vois traduites en portugais sous le titre Epitáfios, dans le volume bilingue de Poesia inglesa (Lisbonne, 1995), par une certaine Luísa Freire. Cette version me semble indécise en quelques points, le premier mot surtout est faux, pensamos («nous pensons») au lieu du passamos attendu. Comment l’expliquer? Un brouillon manuscrit mal tracé, recopié trop vite? Ou une fantaisie volontaire? Penser et rêver feraient une paire plausible, il est vrai.

Dans le volume des Œuvres poétiques de Pessoa, en Pléiade, paru en 2001, figure la traduction française des Inscriptions par Patrick Quillier, reprise d’une précédente édition, sous le titre Epitaphes, chez Bourgois en 1992.

Nous passons, nous rêvons. La terre sourit. La vertu est rare.
Age, devoir et dieux pèsent sur notre bonheur conscient.
Aie l’espérance du meilleur mais au pire attends-toi.
Ecoute bien : c’est là toute la sagesse possible.

J’y remarque l’option étrange, d’avoir supprimé le «et» du premier vers, pour en introduire un dans le suivant, comme par compensation. Je ne trouve pas mal d’avoir maintenu les noms sans articles dans le deuxième vers. Pour les troisième et quatrième, je préfère mes petits alexandrins.

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Commentaires
P
C'est une possibilité.<br /> Mais je continue de préférer mon petit alexandrin.
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L
Je propose de traduire "purposed wisdom" par "sagesse volitionnelle" (cf. Joyce : "Un homme de génie ne fait pas d'erreurs. Ses erreurs sont volitionnelles et sont les portails de la découverte.", in "Ulysse", éd. Gallimard, 2004). <br /> <br /> Et plutôt qu'une traduction littérale de "speaks in this" évoquant une "expression" (cf. "Ecoute bien" selon Quillier, ou "Ainsi parle" d'après Thinès, éditions L'Arbre à Paroles, 2007 et éditions Points, 2011, p. 51), je suggère d'y voir une sorte de déploiement. <br /> Cette dernière notion me semble en effet conjuguer la possibilité donnée à quelque chose pour s'exprimer, à la faculté laissée à cette même chose de se ramasser (au sens de "se concentrer", "se résumer" selon votre propre traduction) en sa propre essence, de sorte que c'est bien ce qu'elle a d'essentiel qui trouvera sa pleine expression.<br /> <br /> On obtiendrait ainsi quelque chose comme : "S'y déploie toute la sagesse volitionnelle".
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P
Je comprends ce que tu veux dire, mais les sens en effet opposés peuvent coïncider, selon comme on les prend. C'est "toute la sagesse possible", au sens où la sagesse ne peut guère aller au-delà de ce peu de chose, qui mérite donc à peine le pompeux nom de sagesse. J'ai l'impression.
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P
C'est justement là qu'est tout mon problème. Je ne trouve pas (Harraps, Robert et Collins...) de "purposed" ayant pour équivalent "prétendue". Mais il faut dire que j'ai cherché rapidement chez Gibert. Ce qui m'a intrigué c'est que "prétendue" est l'opposé de " toute la sagesse possible." D'un coté une fausse sagesse, de l'autre toute la sagesse donnée.D'autre part la traduction portugaise que j'ai consulté (vraisemblablement la même que celle que tu cites) donne "prétendida".
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P
C'est "purposed", exactement. Je ne vois pas quel autre sens lui donner. Tu mettrais quoi?
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