Sur quatre vers de Pessoa
Au bas d’une page, dans un carnet d’il y a dix ans, j’ai retrouvé l’autre jour un brouillon, la traduction française que j’avais faite d’une strophe de Fernando Pessoa (1888-1935).
Nous passons et rêvons. La terre sourit. La vertu est rare.
L’âge, le devoir, les dieux pèsent sur notre bonheur conscient.
Espère le meilleur, prépare-toi au pire.
La prétendue sagesse à cela se résume.
Je ne suis pas sûr de bien tout piger, le deuxième vers surtout m’intrigue, mais la retrouvaille me ravit, ce quatrain me plaît encore, ou plutôt de nouveau, car je l’avais complètement oublié. Il est aphoristique, un rien crépusculaire, d’un registre à mi-voix. Il n’est pas à déclamer, plutôt à murmurer, comme un filon que l’on se passe discréto. A la bibli publique, de retour en ville, j’ai tôt fait de repérer le texte original, et d’autres éditions. C’est un poème en anglais :
We pass and dream. Earth smiles. Virtue is rare.
Age, duty, gods weigh on our conscious bliss.
Hope for the best and for the worst prepare.
The sum of purposed wisdom speaks in this.
Cette miniature est la première d’une série de quatorze, rédigées semble-t-il de 1907 à 1920, et réunies sous le titre d’Inscriptions, dans une plaquette de 1921, faisant partie des English poems de l’auteur. Des «inscriptions» peut-être mortuaires, que je vois traduites en portugais sous le titre Epitáfios, dans le volume bilingue de Poesia inglesa (Lisbonne, 1995), par une certaine Luísa Freire. Cette version me semble indécise en quelques points, le premier mot surtout est faux, pensamos («nous pensons») au lieu du passamos attendu. Comment l’expliquer? Un brouillon manuscrit mal tracé, recopié trop vite? Ou une fantaisie volontaire? Penser et rêver feraient une paire plausible, il est vrai.
Dans le volume des Œuvres poétiques de Pessoa, en Pléiade, paru en 2001, figure la traduction française des Inscriptions par Patrick Quillier, reprise d’une précédente édition, sous le titre Epitaphes, chez Bourgois en 1992.
Nous passons, nous rêvons. La terre sourit. La vertu est rare.
Age, devoir et dieux pèsent sur notre bonheur conscient.
Aie l’espérance du meilleur mais au pire attends-toi.
Ecoute bien : c’est là toute la sagesse possible.
J’y remarque l’option étrange, d’avoir supprimé le «et» du premier vers, pour en introduire un dans le suivant, comme par compensation. Je ne trouve pas mal d’avoir maintenu les noms sans articles dans le deuxième vers. Pour les troisième et quatrième, je préfère mes petits alexandrins.