Petits crayons
Quand Guy Debord s'est suicidé, fin 94, le peintre Jolivet, qui l'avait fréquenté, a raconté que Debord lui demandait de lui garder les petits bouts de crayon, avec quoi il aimait écrire. Ca ne m'avait pas rendu les crayons plus attirants, mais ça m'avait intrigué. Je me demandais par quelle aberration du goût cet homme pouvait non seulement aimer écrire au crayon, mais de préférence avec un petit bout de crayon. Je n'ai trouvé au crayon court d'autre vertu spéciale que d'être plus facile à transporter dans la poche, avantage largement contrarié par la saleté de la mine se frottant au tissu.
Je n'ai jamais bien aimé écrire au crayon. Henri Cueco, qui dessine beaucoup, déclare en user un tous les deux jours. Moi, ça serait plutôt tous les deux ans, ou tous les deux lustres. Encore n'en avais-je jamais usé un en entier, ils disparaissaient toujours fortuitement, à tel ou tel degré d'usure. Cueco a observé cette tendance des crayons en fin de course à se volatiliser discrètement, sans laisser de trace. Lui doit tenir les siens à l'oeil, pour en conserver les bouts, qu'il stocke en bocaux.
Par coïncidence, j'ai découvert la semaine dernière les intéressantes remarques faites par Cueco sur "Les petits crayons", dans son recueil Le collectionneur de collections, quasiment le même jour où je suis enfin arrivé au bout d'un crayon. J'ai su que j'étais arrivé au bout, quand j'ai constaté que si je l'enfonçais dans mon taille-crayon, il n'en dépassait plus assez pour que je puisse tourner.