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Journal documentaire
1 septembre 2005

Finalement, c'est avec regret que je suis arrivé

Finalement, c'est avec regret que je suis arrivé au bout de ce volume du Journal des Goncourt. Voilà le genre de livre où, parvenu à la dernière ligne, on va encore se lécher les doigts en lisant sérieusement la postface de Lucien Descaves, à la recherche de ce qu'on pourrait encore grappiller sur ces messieurs. Puis on se retourne, on en veut d'autre, et on va au chai consulter l'article les concernant dans la vieille Encyclopaedia Britannica de 1947, que l'on se félicite de n'avoir pas encore vendue.
Ils sont fortiches. Dans une note du 22 mai 1859, l'un d'eux rêve à un "éreintement" de la stupidité bourgeoise, qu'il conduirait "avec du fiel, de la science et du goût". Mais vraiment, n'est-ce pas la formule même de leur journal? Et fiel, science et goût, de quelles meilleures armes peuvent être dotés les chroniqueurs?
Ils ont des traits qui foudroient, tel: "Dans le monde, nous ne parlons jamais musique, parce que nous ne nous y connaissons pas, et jamais peinture, parce que nous nous y connaissons".
Il n'est pas rare qu'un diariste en vienne tôt ou tard à déclarer son attirance ou sa répulsion pour la campagne. Bizarrement, car ils ne sont guère incohérents, on trouve chez eux les deux points de vue, et presque simultanément. On lit au 23 mai 1857: "L'insipide chose que la campagne (...) Ce calme, ce silence, cette immobilité, ces grands arbres (...) cela met en gaieté les femmes, les enfants, les clercs de notaire. Mais l'homme de pensée ne s'y trouve-t-il pas mal à l'aise comme devant l'ennemi (...)". Or à moins d'un mois de là, le 15 juin, "Nous nous sauvons de la maladie, à la campagne (...) Il fait bon passer des heures, couché dans le parc, sous une rochée de trois immenses tilleuls (...)".
Il y a au 17 février 1859, cette anecdote d'un vieillard, entendu répondre à un garçon de café lui demandant ce qu'il désirait: "Je désirerais ... avoir un désir". Ils concluent: "C'était la Vieillesse, ce vieillard". Ce peut être une lecture qui aura inspiré à Gómez Dávila cette Nota de 1954: "L'adolescence obtient sans avoir désiré, la jeunesse désire et obtient, la vieillesse commence par désirer sans obtenir et finit par désirer désirer".
Parmi leurs longs tableaux, ma préférence va aux comptes rendus de conversations, tel celui du 24 août 1860. "On s'assied à table, et de suite la causerie prend feu à propos de ...", suivent quatre pages de discussions rapportées, roulant d'un sujet à l'autre. L'un des convives amuse par sa drôlerie méchante: "Voyez-vous, dit Gautier en se rapprochant de nous, l'immortalité de l'âme, le libre arbitre, c'est très drôle de s'occuper de tout cela jusqu'à vingt-deux ans, mais après, ça n'est plus de circonstance. On doit s'occuper à avoir une maîtresse qui respecte vos nerfs, à convenablement arranger son chez soi, à posséder des tableaux passables, et surtout à bien écrire (...)".
Leurs vues tiennent le coup. Maintenant que nous sommes séparés de leur temps par un vingtième siècle au cours duquel on a dégusté les joies parallèles du communisme et du fascisme, on peut toujours relire cette considération selon laquelle "On a brûlé au nom de la charité, on a guillotiné au nom de la fraternité. Sur le théâtre des choses humaines, l'affiche est presque toujours le contraire de la pièce." (ibidem)

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