histoire d'un titre

7 février 2020

Un beau jour du mois dernier, fouillant dans la boîte à livres de la House, à Canéjan, je tombe sur un livre consacré à Léonard de Vinci. Un gros volume de moyen format, broché, vieillot, en mauvais état. Le genre de ruine déposée par un de ceux qui pensent qu'une boîte à livres est une sorte de poubelle à papier. Je retire l'ouvrage, dans l'intention de le porter prochainement à un conteneur à matériau recyclable. Un peu plus tard, rentré chez moi, je le feuillette quand même. La couverture baille, les pages sont jaunies, cornées, certaines se détachent. Les mieux conservées sont les quelques planches hors texte reproduisant en noir et blanc des peintures du maître et d'autres documents. Parmi elles, je remarque un buste de femme sur fond de paysage végétal, oeuvre que j'ai déjà vue mais que je n'aurais su identifier. Le format et la disposition en feraient un bon matériau à collage, aussi j'arrache la planche et la mets de côté. Dans les jours qui suivent, je jette comme prévu le livre dans une benne et par ailleurs, dans un moment de tranquillité, je me sers de l'illustration pour composer un portrait à ma façon, comme j'en ai fait bien d'autres, avec un regard surimposé, découpé dans quelque magazine. Cela tombe assez bien, je suis content de l'effet. La plupart de mes collages sont sans titre, mais puisque j'ai encore sous les yeux la légende imprimée au bas de la planche, désignant la personne peinte comme une certaine Cecilia quelque chose, je décide d'adopter ce prénom pour titre et je l'inscris au bas de l'image, à côté de mes initiales et du millésime. Après quoi, pour épater les copains, je publie mon chef d'oeuvre dans Facebook. Sur ce l'ami Carnif, esthète laconique, s'enquiert de mes sources : «Botticelli + le magazine Elle?» Sur le second point, je ne sais que dire. Un Elle m'est en effet passé entre les mains naguère, mais je ne prends pas note de tout ce que j'emprunte. Pour le premier point, avant de rectifier, je recherche en ligne le titre exact du tableau. Je découvre alors qu'il n'est pas du tout ce que je croyais. Léonard a bien peint une Cecilia, mais ce serait la Dame à l'hermine, Cecilia Gallerani. Quant au portrait dont je me suis servi, la toile unanime assure qu'il s'agit de Ginevra ou Ginebra de Benci. Comment expliquer cette contradiction? Me suis-je trompé? Ce n'est pas à exclure, mais je suis assez sûr d'avoir bien lu la légende. Le portrait était-il anciennement considéré comme celui d'une autre dame? Je n'en sais rien. Y a-t-il eu dans le livre interversion de légendes? La question est sans grande importance, mais elle a piqué ma curiosité. Je n'ai plus le livre sous les yeux pour vérifier ce qu'il en est, mais je peux tenter d'en retrouver un autre exemplaire. Mes souvenirs ne me laissent pas beaucoup d'indices. Je vois à peu près l'époque de l'édition, les années soixante ou soixante-dix, et il me semble que l'auteur était un écrivain français connu. Je me reporte au long article de Wikipédia sur Léonard de Vinci, à la fin duquel figure une bibliographie chronologique. Parmi la vingtaine de références datant du XXe siècle, je remarque un Léonard de Vinci par Marcel Brion, qui pourrait correspondre. En interrogeant un catalogue collectif avec la requête Brion + Vinci, je localise deux ouvrages, dans deux bibliothèques universitaires des environs. Je m'y rends successivement mais les deux livres, datant de 1959 et 1969, sont différents de celui que j'avais trouvé à la House. Tous deux comportent une reproduction du même portrait, attribué à la même dame. Le plus ancien, en fait un recueil collectif dirigé par Brion, est plus incertain, formulant ainsi sa légende : «Jeune femme (Ginevra Benci?)». Je n'en aurai sans doute jamais le coeur net, mais qu'importe. Je me suis diverti un moment, j'abandonne là les recherches.