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Journal documentaire
22 septembre 2008

Sur deux Bordelais

De passage chez Mollat l’autre jour, j’ai acheté deux catalogues consacrés à deux artistes bordelais, un vivant et un mort, Detot et Chaval. Publiés par Le Festin pour des institutions différentes, les deux ouvrages ont le même format 18 x 24 cm et la même facture soigneuse, rappelant la collection populaire de chez Taschen, mais en plus cher. Les deux livres présentent des reproductions de qualité, mais accordent au portrait des artistes un traitement différent, remarqué-je, Detot apparaissant dans une dizaine de photos sur moins de 50 pages, Chaval dans une seule sur presque le triple.
detotJe me souviens que j’avais rencontré le taciturne Luc Detot quelquefois, dans la fin des années 80 ou le début des années 90, parce que nous avions des amis communs, et qu’alors je sortais plus souvent. L’étude rédigée par Dominique Dussol (Luc Detot : l’image à l’épreuve) a été éditée à l’occasion d’une exposition qui s’est tenue cette année à Mérignac et que je n’ai pu visiter. Je retrouve au fil des pages des images provenant de séries que j’avais déjà vues à l’époque. J’en découvre aussi dont j’ignorais tout. Les plus frappantes sont une série de portraits réalisés à la mine de plomb dans la seconde moitié des années 90, dont un orne la couverture. Ces dessins de grand format, rarement moins d’un mètre carré, calqués sur des projections photographiques, frappent évidemment par leur maîtrise technique, mais aussi par leur sujet bizarre, ce sont tous des visages crispés aux yeux fermés. C’est une trouvaille thématique assez efficace, la crispation des traits induisant naturellement quelque tension chez le spectateur, tandis que les paupières fermement closes lui présentent une attitude exactement inverse à la sienne, en traduisant un violent désir de ne pas voir. Le paradoxe visuel se complète du fait que ces personnages sans regard sont ainsi rendus plus énigmatiques par l’absence de l’élément habituellement le plus expressif du visage.

chavalAcheter le catalogue de l’exposition Chaval : humour libre me rappelait et me consolait d’un méchant souvenir vieux de trente ans. Je possédais alors deux volumes jumeaux de dessins du maître, parus en livre de poche et intitulés L’homme et L’animal, ou quelque chose du genre. Une copine les avait emportés un après-midi à la plage et me les avait rendus scrupuleusement mais tout gondolés, remplis de sable et bons à jeter. Ce livre tout frais les remplace honnêtement. J’y trouve quelques imperfections, comme d’annoncer page 115 une «biographie» qui brille par son absence, mais c’est dans l’ensemble un bon ouvrage, agréable et charnu, abondamment illustré. On y désigne sobrement l’art de Chaval comme «humour graphique absurde». On signale qu’Ivan Le Louarn, qui n’avait pas encore adopté son pseudonyme, aurait publié sous l’Occupation des caricatures qui ne seraient «pas à la gloire du dessinateur», mais comme on a bien pris soin de m’en épargner la vue, en ne les montrant ni dans le catalogue, ni dans l’expo, je ne suis pas en mesure de confirmer à quel point elles sont «ignobles». Examinant une à une les œuvres reproduites, je constate leur inégalité d’inspiration, c’est fatal, certaines sont d’une potacherie un peu trop légère, mais on aime un auteur pour ce qu’il a de meilleur, pour ce qui nous rend indulgent envers ce qui est moins bon. Je m’aperçois que je ne raffole pas non plus de certains dessins à caractère plus «métaphysique» comme la série des «oiseaux». Si je devais citer mes trois préférés dans cet ensemble, je dirais «La dernière note» (un technicien armé d’un maillet guette l’heure d’arrêter la prestation d’une cantatrice), «Plus près de toi, mon ciel» (un astronome monté sur une chaise pour mieux observer), et «Il faut tenir compte du fait que l’architecte n’a que 4 ans». Dans un des articles est reproduit un assez sinistre mais beau texte de Chaval intitulé Vive la mort («J’ai la conviction que les morts sont les gagnants...»). J’apprends aussi de bizarres détails de sa vie, dont j’ignorais tout, comme son mariage à 21 ans à une peintre bergeracoise avec laquelle il n’avait aucun rapport sexuel, sa découverte de l’amour physique à 50 ans avec une maîtresse, puis le suicide de sa femme et enfin le sien en janvier 1968, à l’âge de 52 ans, qui est aussi, hm, le mien en ce moment. Résidant à Bordeaux ces temps-ci et tout près de la maison natale de l’artiste, je suis passé devant le 2 de la rue Porte-Cailhau en pensant à lui. Je suis aussi allé visiter son exposition au Musée des Beaux-Arts, intéressante mais aux conditions plutôt ingrates : cela tenait quasi dans une seule salle, l’entrée coûtait quand même 5 euros pour les gens qui comme moi ne sont ni étudiants ni opprimés pistonnés ragnagna, et pour regarder les 50 minutes de documents vidéo on disposait royalement d’une banquette de trois places, sans dossier, et naturellement déjà occupée.

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Commentaires
P
Zuleika, aucun des deux dessins que vous citez n'est dans l'expo, où il y en a toutefois plusieurs de la série Corrida. L'intitulé "Pharmaciens fuyant l'orage" est excellent, il tient presque tout seul sans dessin.
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Z
Egalement, le taureau couché dans un lit d'hôpital et disant au toréador : "Vous avez voulu me tuer."
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V
"à l’âge de 52 ans, qui est aussi, hm, le mien en ce moment" : j'aime bien le "en ce moment". Promesse d'éternité.
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P
Je n'ai pas souvenir de l'avoir vu, mais je regarderai dans le catalogue, que je n'ai pas sous les yeux à l'instant. En tout cas il y a ainsi beaucoup de titres incluant un participe présent.
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Z
"Pharmaciens fuyant l'orage" m'a longtemps tourmenté. Est-il à Bordeaux ?
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