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Journal documentaire
13 juin 2007

Trois Folio à deux balles

Le grand intérêt des Folio à 2 €, c’est leur petit prix. Mais après tout il est à proportion de la faible épaisseur, 100 pages et quelques, et on est un peu déçu que ce ne soient que des extraits, en quelque sorte des échantillons, de textes publiés par ailleurs in extenso, y compris dans d’autres collections de poche du même éditeur. Malgré quoi certains jours il ne faut pas grand chose pour me tenter et j’ai rapporté chez moi trois de ces plaquettes, aux jolies couvertures.

Ebauches de vertige, de Cioran, m’a beaucoup plu. Jusqu’à présent la réputation de ce misanthrope acariâtre ne me l’avait rendu que vaguement sympathique et ses livres m’étaient tombés des mains les rares fois où j’avais eu l’occasion d’en ouvrir. Là encore je me suis senti agacé par sa manie de mettre à tout bout de champ un mot en italique pour s’assurer qu’on prenne bien garde à son sens, éventuellement double. Mais dans l’ensemble je me suis laissé convaincre par la qualité de cette collection d’aphorismes intelligents, au cynisme désabusé.
Une de ses pensées m’intrigue sans me persuader (page 114) : «Est sûrement mauvais l’auteur qui prétend écrire pour la postérité. On ne doit pas savoir pour qui on écrit.» Cette phrase me paraît acceptable comme une mise en garde contre la naïveté d’un écrivain qui prétendrait avoir la certitude d’être lu plus tard. Mais en même temps le raisonnement est un peu bancal. Il me semble qu’un écrivain, comme tout autre artiste, recherche l’excellence durable (le durable étant preuve de l’excellence), et souhaite donc naturellement intéresser la postérité la plus longue. Par ailleurs je ne vois pas comment on pourrait «savoir» qui sera la postérité, s’il y en a.
Page 34, cette considération sévère : «C’est commettre une effraction qu’envoyer un livre à quelqu’un, c’est un viol de domicile. C’est empiéter sur sa solitude, sur ce qu’il a de plus sacré, c’est l’obliger à se désister de lui-même pour penser à vos pensées.» Cela me rappelle, et éclaire peut-être, l’anecdote racontée par je ne sais plus qui, des livres de Caraco dédicacés à Cioran, et trouvés intacts chez le bouquiniste, non lus, les pages non coupées.

Lire aux cabinets, de Henry Miller, m’accrochait par son titre, et finalement je l’ai feuilleté sans avoir envie de le lire. La phrase qui m’a le plus frappé n’est pas de l’auteur, c’est cette déclaration bizarre, dans la notice biographique en introduction : «En 1917 paraît son premier livre Clipped wings, resté inédit.» Qu’est-ce à dire ?

J’ai lu il y a longtemps, avec joie me semble-t-il, le Journal d’un génie, de Salvador Dali, mais j’avais tout oublié des extraits reproduits dans Les moustaches-radar (1955-1960). Le punch extraordinaire de Dali captive, son humour me fait tantôt éclater de rire, tantôt me saoule, quand il en fait trop. J’ai été frappé de lire, pages 65-67, des souvenirs de ses rencontres avec Stefan Zweig, qui avait été son intermédiaire auprès de Freud. Zweig voulait absolument convaincre Dali de partir avec lui au Brésil. Dali, dont le vocabulaire est d’habitude varié jusqu’à l’inattendu, emploie deux fois le même mot à trois lignes d’intervalle pour évoquer son «horreur des tropiques» et son «horreur de l’exotisme», invoquées pour refuser. «Alors, il me parla de la dimension des papillons brésiliens, mais moi je grinçais des dents : les papillons sont toujours et partout trop grands.»

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