Les travaux et les jours
J'aurais dû débarrasser mon petit hangar, dimanche après-midi, en prévision des travaux, et je suis allé perdre mon temps à la brocante de Loulay. Elle est assez tardive, je crois que c'est elle qui termine la saison, et elle est immense, mais je n'y ai flâné qu'un moment. J'avais oublié à quel point hommes et femmes clopaient de tous côtés dans ce genre de rassemblement. Je n'ai acheté aucune vieillerie, juste un pot de miel, un de gelée de coing et un bout de pain. En rentrant, comme il faisait beau, je n'ai pas pu me retenir de passer voir dans le nouveau gisement magique de combustible, que j'ai dégoté dernièrement. C'est un endroit où un chemin de campagne longe la voie ferrée sur trois ou quatre cents mètres. Des ouvriers ont débroussaillé les abords comme des cochons et ont laissé traîner plein de bouts de bois récupérables. Il y a du vert et du sec, d'espèces banales, ormeau, érable, aubépine, frêne, mais on ne va pas tordre le nez quand c'est gratuit. Si bien que pour la troisième fois de ces dernières semaines, je suis rentré avec la voiture pleine de branches jusqu'au toit.
Du coup je ne me suis occupé du hangar qu'hier. Il me semblait déjà presque vide mais j'ai passé la journée à dégager interminablement le peu qu'il y restait de planches, de bâches, de pots, de caisses, de cordes, et que sais-je. Et à chercher des pinces pour dénouer le fil à linge. Et à empiler les dalles de onze kilos chacune qui traînaient à côté. Et à couper mon grand rosier, très grimpant, et très emmerdant à se barrer sous les tuiles.
Et ce matin, à la première heure, l'équipe a déboulé. Monsieur l'artisan, appelons-le Pedro, accompagné de deux auxiliaires encore plus jeunes que lui, dont le taciturne Eric, que j'avais déjà aperçu, et le maori Greg, aux bras tatoués. Trois hommes assez charmants, au demeurant, pour que nous passions la journée sans nous engueuler. Ils fumaient sans arrêt. Le patron des cigarillos, Eric des cigarettes blondes, et Greg les cigarettes d'Eric. Le sujet vint sur le tapis sans que je l'aie cherché, quand on me demanda si je sentais l'odeur de Javel dans la vapeur d'eau du kärcher. Comme je ne sentais rien du tout, on estima que c'était sans doute parce que je fumais trop. L'hypothèse ne manquait pas de piquant, venant de leur part et s'adressant au seul abstinent de la compagnie. Je leur appris qu'en vérité, j'avais arrêté de fumer à la fin de septembre. Cela parut les intriguer. Pour enfoncer le clou j'ajoutai, en forçant à peine le trait, qu'emporté dans un élan d'ascétisme, j'avais également cessé de boire, de manger, et de foutre. Mais je n'en dis pas plus, pour ne pas leur paraître bizarre. Ils ont crépi tout l'intérieur du hangar, d'une belle couche de chaux blanche.