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Journal documentaire
19 septembre 2006

Souvenir d'Albert Audubert

J'ai appris fin août la mort d'Albert Audubert, d'une embolie pulmonaire je crois. A l'époque où j'étais étudiant de portugais, fin seventies début eighties, il régissait la moitié brésilienne de la formation. J'ai toujours eu de la sympathie pour lui, il m'en a témoigné quelquefois. Il est dans mon esprit un assez bon symbole de mon talent à rater des relations qui auraient pu être meilleures.
C'était un personnage imposant, dont la stature massive et les traits faisaient à mes yeux, sauf son respect, une sorte de rhinocéros humain. Derrière sa mine volontiers sévère, on sentait que le Gascon débonnaire se cachait mal. Il portait le béret. Je me rappelle surtout des cours donnés l'après-midi, portant sur des poèmes brésiliens en vers libres, de Drummond de Andrade ou de Manuel Bandeira, oeuvres assez ternes me semble-t-il, mais en effet propices à la pédagogie. Il avait un défaut de diction surprenant chez un professeur, qui plus est d'origine rurale, son incapacité à rouler les R. J'aimais beaucoup sa tendance à la digression, le sel de son enseignement, qui pouvait l'amener à nous entretenir de questions peu académiques, comme les problèmes de voirie qui se posaient dans son bled. Une fois, qu'il avait voulu tester la culture générale de ses auditeurs en leur demandant s'ils avaient idée de qui était l'auteur d'Orlando furioso, et où j'avais été le seul à répondre l'Arioste, il m'avait félicité de façon gênante devant sa douzaine d'étudiants à moitié endormis, parmi lesquels je brillais sans grand mérite.
Au printemps 1984, quelques années après la fin de mes études, et à un moment où j'étais fort éloigné de l'université, il m'avait contacté pour m'offrir une bourse de voyage au Brésil, dont il disposait. Il voulait en cela, malgré le temps passé, me récompenser d'avoir été un bon étudiant. C'était peu de chose, un aller-retour gratuit en avion pour Rio, avec le séjour à ma charge, mais ça pouvait être intéressant et je n'étais pas tenu à un compte rendu. Je m'en foutais et je ne souhaitais pas particulièrement voyager, je refusai donc poliment. Quelques semaines plus tard cependant, les circonstances de la vie et ma faiblesse morale m'ayant placé dans la situation avantageuse mais inconfortable de bigame, je le rappelai en catastrophe pour accepter et fuir. Au Brésil, je m'ennuyai, globalement, comme j'ai déjà eu l'occasion de le raconter, et je fis même des pieds et des mains pour qu'Air-France me rapatrie quinze jours avant le terme prévu de deux mois. Je ne sais plus si seulement je signalai au professeur mon retour.
Ce fut lui qui me retrouva, fin 1985, pour me dire que finalement on réclamait que je fournisse un compte rendu ou un article ("Depuis deux mois je n'arrive pas à vous joindre aux deux numéros que vous m'avez laissés! Je poste ce mot comme je jetterais une bouteille à la mer..."). Je n'avais rien à donner, c'est sans doute là que je l'ai le plus déçu. Dès lors nous ne nous vîmes plus qu'épisodiquement.
Après 1985, quand j'ai fait des traductions chez Grasset, j'ai dû aller le voir une fois ou deux pour lui demander de m'éclairer sur quelques points. Il le fit. Il avait une mémoire phénoménale et savait beaucoup de choses.
Il y eut une fois, dans le début des années 90, où il me demanda mon aide car il était empêché, pour aller accueillir un conférencier brésilien. Du coup je passai la journée avec eux et il nous invita au restaurant, à midi et le soir. Il y eut un petit incident pendant le dîner. Le conférencier était un fanatique de roman réaliste sociologique. Il cherchait à retrouver le nom d'un romancier français qui lui semblait méprisable. Je l'aidai: il s'agissait de Georges Perec. Je fis pire, je pris la défense de Perec, exposant l'originalité de plusieurs de ses expérimentations (dont je ne suis pas fan pour autant). Le conférencier prit la mouche, haussa le ton, mais ça n'alla pas bien loin. Audubert resta neutre. Un Homo cocktellus pro.
Est-ce à la même occasion, qu'il m'annonça qu'il allait accompagner Ségolène Royal comme son interprète personnel, au Sommet de Rio? J'entends encore sa voix au téléphone me confier qu'il se sentait "tout tourneboulé" de cette histoire.
Je ne sais plus dans quelle circonstance, ultérieure me semble-t-il, mais c'était peut-être au même moment, je me suis retrouvé une fin d'après-midi boire un pot dans son pied-à-terre de Talence, près de la barrière, en compagnie d'un Argentin de son âge qu'il hébergeait alors. Il m'avait fait remarquer dans la cour de l'immeuble sa voiture girondine, une antique Simca 1000 ou une Renault 8, au pare-brise décoré d'une véritable frise de vignettes.
En tout cas c'est après avoir commencé de travailler à la B.U. en 1993 que je découvris avec curiosité un des rares articles qu'il ait publiés, portant sur "L'usage et le langage de la maconha (marijuana) au Brésil", et paru dans les Archives du centre Gulbenkian. En 1996, comme j'étais dans la place, il me demanda de m'assurer que la bibli avait bien acquis un exemplaire du dictionnaire d'argot brésilien qu'il venait de faire paraître à Tübingen. Je le rassurai volontiers, il s'agissait d'un volume de la collection des Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie, à laquelle nous étions abonnés. Cet ouvrage s'ouvre sur un avant-propos amical de trois pages dans lesquelles le professeur Kurt Baldinger évoque la vie d'Albert, sur laquelle je ne savais alors presque rien: sa famille corrézienne à La Chapelle-aux-Saints, sa collaboration en Suisse au Französisches etymologisches Wörterbuch, son agrégation de grammaire, ses douze années à la tête du Centre d'études françaises de São Paulo, sa nomination à l'université de Bordeaux, son élection comme maire de sa commune, puis conseiller général de Beaulieu-sur-Dordogne, etc.
En 2000, quand j'ai présenté ma thèse, je l'ai invité par principe et j' ai eu la bonne surprise de le voir arriver. C'était pour moi un grand honneur.
Je ne sais plus en quelle occasion depuis lors il m'a dit avoir aimé ma livrette de souvenirs du Brésil, Rio-même, que Baudouin avait publiée à l'enseigne de P Mainard.
Nous avons encore échangé quelques courriers il y a environ deux ans, quand notre ami Secchin cherchait à publier une plaquette de poèmes que j'avais traduits en français.
Sa disparition me peine et je me sens inutile, trois semaines après, avec mes souvenirs flous.

 

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Commentaires
B
Je ne sais pas si je dois écrire en français ou en portugais. Je suis brésilienne et professeur de français. Qualquefois j'étudie la traduction à l'aide d'un livre de Monsieur Audubert. L'amie qui étudie toujours avec moi a trouvé votre blog et votre text m'a beaucoup touché. Merci. Obrigada.
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T
Pas trop, non, il y a des spécialistes pour ça ; <br /> http://www.gallimard.fr/aparaitre/fiche.go?frm_id_code_article=A78157<br /> (Bon on ne va pas se plaindre non plus, hein ? )
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T
Berthet, pour celui-là aussi il faudrait faire quelque-chose...pas trop...on va quand même pas dévoiler tous nos secrets...un petit quelque chose
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T
Je dirais même plus : épatant. <br /> Je me faisais d'ailleurs ces jours-ci la réflexion à moi-même : « Plus ses notes sont longues meilleures elles sont ». Et j'ajoutais : « Un certain spleen automnal lui va bien au teint ». <br /> Alors, tu nous le fais ton "Talence-La Croix", à la manière du "Paris-Berry" de Berthet ?
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T
Ce n'est pas pour vous cirer les pompes, mais ce texte est très beau, je dirais même plus épatant!
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