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Journal documentaire
18 janvier 2006

Noté en lisant le troisième tome du Journal de

Noté en lisant le troisième tome du Journal de Bernard Delvaille (que je découvrais, n’ayant pas lu les tomes précédents, ni rien d’autre de l’auteur) :
Delvaille n’est pas un forçat du journal personnel. Voici un fort volume de 567 pages mais comme il couvre vingt-deux années (1978-1999), la moyenne est d’environ 25 pages par an. Il n’est pas rare qu’un mois s’écoule ou plus entre deux notes.
Il y a deux titres courants tout au long de l’ouvrage. En haut des pages paires, c’est le titre du volume (Journal, 1978-1999), et en haut des pages impaires, la date en toutes lettres de l’année du chapitre en cours (Mil neuf cent soixante-dix-huit, etc). C’est une idée commode, et élégante. Elle a été un peu salopée par l’éditeur (La Table Ronde) qui a laissé traîner une vilaine coquille du début du livre à la fin de l’année 1982 (p 59), où à chaque page, dans la date, le chiffre NEUF est écrit «NEUL».
Delvaille fait une déclaration surprenante en avril 1981 : «Je me rends compte que ce journal n’a guère d’intérêt». Cet aveu embarrasse, car on a plus d’une fois envie de lui donner raison. Souvent il se contente de mentionner des lectures sans rien en dire d’autre, alors qu’un seul adjectif qualificatif donnerait à ces notations la saveur de l’opinion. Beaucoup des propos de son journal ne me disent rien, quelques uns m’ont intéressé.
Delvaille a l’air d’aimer des choses que j’ai en horreur, comme les voyages, les bars, les hôtels. On a aussi quelques goûts en commun, comme pour de Quincey, Hazlitt ou Pieter de Hoogh.
Quoique de tempérament assez mesuré, Delvaille a par moments des partis pris esthétiques tranchés qui ont la fraîcheur de la sincérité. Ainsi au sujet des Québecois, qui «sont peu aimables et ne parlent pas français. Ils baragouinent une sorte de patois incompréhensible et ridicule» (avril 78), du peintre Molinier «qui me montrait ses toiles érotiques, plus laides les unes que les autres» (avril 83) ou de la musique maghrébine «qui est tout ce que je ne supporte pas» (mars 84). Que l’on me permette encore le plaisir de citer ceci : «On m’avait prévenu contre la laideur de Saint-Marin. Je ne pensais pas que ce fût possible à ce point» (juillet 98). Et cela : «Le rap, le truc-muche me hérissent, me font horreur. C’est une forme de sauvagerie» (septembre 98).
Il tombe en extase dès qu’il se retrouve à Londres ou à Venise et ce sont les passages qui m’ennuient le plus, car outre que je n’éprouve aucun attrait particulier pour ces deux villes, je ne lis souvent qu’une énumération de noms de rues et de bâtiments inconnus qui ne me disent rien. J’aime mieux ses séjours en Suisse ou chez ses amis du Médoc, ou le week-end de juillet qu’il passe rituellement chez Brochier à la campagne.
Il est très intégré à la nomenklatura littéraire et souvent se déplace pour des lectures, des conférences ou des prix. Le gaspillage de l’argent public en subventions culturelles n’a pas l’air de beaucoup le déranger. Au moins deux fois il avoue accepter des invitations dans le seul but de visiter une ville gratuitement. En décembre 94 il participe sans sourciller à un jury qui attribue un prix de 100 000 francs à Yves Bonnefoy, poète déjà célèbre et qui «les accumule».
Les écrivains réacs français ne l’attirent pas. Il trouve des commensaux «bien indulgents pour Henri Béraud» (juillet 89), il n’a «jamais pu lire l’oeuvre de Céline» (février 92), Barrès écrit «mal» (octobre 97 et août 99).
Comme il connaît beaucoup de monde et fréquente régulièrement la Normandie, je m’attendais à le voir citer tôt ou tard Ciry, d’autant qu’il mentionne le village de Varengeville, mais non.
Il indique volontiers le menu de ses repas et c’est le genre de détail dont on pourrait lui reprocher la futilité mais qui personnellement ne me déplaît pas.
En mai 93, dans un restaurant de Madrid, il lui arrive une petite mésaventure : il croit avoir commandé des anguilles, dont il est friand, or on lui sert une «sorte de piballes» qui lui répugnent (et qu’il faut d’ailleurs écrire pibales avec un seul L). Je pense qu’il a pu y avoir un quiproquo à cause de la ressemblance des mots espagnols anguila (anguille), et angula (alevin d’anguille, soit pibale).
Il ne passe pas six mois sans évoquer ici ou là un casino, qu’il écrit toujours avec un accent grave sur le o, je ne sais pourquoi. C’est peut-être une règle de l’italien, que je ne connais pas, et qui est en tout cas inutile en français, mais il a l’air d’y tenir. Par contre, dès qu’il aligne trois mots d’espagnol ou de portugais, je vois que c’est bourré de fautes. Cela peut se comprendre, mais une monstruosité me choque, d’autant qu’il la répète volontiers, c’est sa façon de traiter le nom du peintre que l’on peut écrire à la française Vélasquez ou à l’espagnole Velázquez, mais en aucun cas «Vélázquez».
Il déclare à Pâques 88 qu’il aurait aimé exercer le métier de botaniste et on voit qu’en effet il connaît bien les plantes, il nomme précisément les fleurs et les arbres dont il parle. Mais de son propre aveu il est «incapable de reconnaître le chant des oiseaux» (mai 89) à part quelques exceptions. Il se trompe au sujet du pic-vert, dont il croit qu’il ne chante pas et ne produit que des tambourinements, alors que cet oiseau a au moins un cri très caractéristique. Il rapporte en avril 89 une belle scène où il a vu un merle venir à la rescousse d’un moineau attaqué par une pie.
A Pâques 88 il esquisse une belle liste de «Librairies de Paris qui ont disparu».
Au mois de septembre (que recommande Nougaro) 90, il passe quelques jours sur l’île de Ré et à La Rochelle. Il observe que dans le village d’Ars, «les volets des maisons sont peints en vert». Je suppose qu’il n’a pas eu le temps de remarquer que c’est dans l’île entière que non seulement tous les volets mais aussi toutes les portes sont de cette couleur.
Je partage son avis de juin 94 sur l’affirmation «stupide et péremptoire» d’Adorno, selon qui «on ne peut plus écrire de poésie après Auschwitz».
Il confie plusieurs fois partager l’émotion et la gravité des Anglais quand ils écoutent leur hymne. Il note en août 94 cet incident : «Lorsque, d’un kiosque, s’élève le God save the Queen, nous nous levons et je suis surpris de constater de voir que ce n’est pas le cas de tout le monde, notamment des Pakistanais.» La faute de style «de constater de voir», qu’il n’a pas corrigée, semble traduire son trouble. De même en avril 98, dans un paragraphe où il s’avoue touché à la vue de collégiens anglais, il répète à quelques lignes d’intervalle que «Quelques uns sont adorables», puis que «Certains sont adorables».
C’est un lecteur boulimique et courageux. Il relit et relit comme de rien le Rancé de Chateaubriand. Il cale un peu sur Saint-Simon et, pour en avoir tâté moi-même par moments ces derniers mois, je comprends et partage son avis nuancé : «Ce qu’il raconte ne m’intéresse pas, me donne le tournis. Mais la manière qu’il a de raconter est unique et enchanteresse» (mai 97). Il revient sur le sujet en août : «Il me donne le vertige avec ses explications généalogiques. Je l’aime quand il ne joue pas son personnage...» Enfin il se fixe en novembre 98 une règle prudente pour la lecture de Saint-Simon : «un volume par an me semble la dose convenable».

Il visite souvent les églises, il mentionne quelquefois les vitraux et à l’occasion il les juge. Il les trouve «laids» à Nancy (septembre 89), «beaux» à Bourges (mars 90), «sans intérêt» à Clermont-Ferrand (mai 91), «affreux» à Nevers (mai 94) et «splendides» à York (avril 95). Pour ceux de Nevers, signés Viallat, je le crois sur parole. Pour les autres, je voudrais voir.

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