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Journal documentaire
19 août 2004

Roger Caillois, que j'ai beaucoup admiré sans

Roger Caillois, que j'ai beaucoup admiré sans l'avoir beaucoup lu, me déçoit un peu par un article de 1946, consacré aux "Journaux d'écrivains" (repris dans ses Chroniques de Babel, d'où on me le photocopie). Il oppose aux véritables oeuvres des auteurs leurs journaux, qui ne peuvent être selon lui que des ouvrages subalternes, où règne "le laisser-aller", remplis de "confessions triviales" et des "pensées les moins formées", sans autre utilité, à la rigueur, que de pouvoir éventuellement éclairer tel ou tel point des oeuvres présentables. Ses propos convaincraient peut-être mieux s'il se contentait de les appliquer au seul journal d'écrivain dont il tire complaisamment tous ses exemples de propos insignifiants, sans vouloir en dire l'auteur (c'est Gide, me souffle-t-on, peu importe). Mais il est malhonnête, partant de là, de vouloir appliquer généralement cette censure à tous les journaux. Avec un raisonnement semblable, on aurait tôt fait d'extraire quelques platitudes de n'importe quelles oeuvres, car elles en contiennent toutes, et d'en conclure que le roman, la poésie ni le théâtre ne valent non plus tripette. Ce serait idiot. Plaignons ce pauvre Caillois de n'avoir jamais lu, au moins jusqu'en 1946, de journal écrit avec soin, ou contenant des pensées bien pesées, et donc d'ignorer que la chose n'a rien d'impossible. Une question plus discutable est de savoir si un auteur se fourvoie en livrant des détails de sa vie quotidienne. Pour avoir assez lu de ce genre d'écrits, je mesure ce que cela peut avoir d'insipide, ou au contraire de savoureux. Là encore il me semblerait hasardeux d'établir une règle universelle. Tout dépend, je crois, de l'homme et du ton. Curieusement, je me rappelle avoir trouvé sur le sujet des propos pas moins véhéments que ceux de Caillois, chez des auteurs dont certaines des oeuvres, et pas des moindres, sont ou s'apparentent à des journaux, Caraco raillant parfois le "bas détail" et Dantec rejetant, dans Le théâtre des opérations, premier volume de son Journal métaphysique et polémique, "cette hideuse absurdité qui consiste à raconter sa vie". Il précise, dans le volume suivant, Laboratoire de catastrophe générale, sa conception du journal, "qui ne signifie rien d'autre qu'un travail fondé sur l'écriture quotidienne, au jour le jour, et sans volonté intimiste particulière", soit en effet une sorte de journal intellectuel, constitué principalement de notes de lecture et de réflexions politiques, formule somme toute assez proche des Semainiers de Caraco. Toutes oeuvres dans lesquelles les notations intimistes, si elles sont rares, ne sont pas forcément de moindre intérêt. Un point de vue opposé fut celui du diariste assidu Michel Ciry, né en 1919, qui rédigea et publia un copieux journal depuis les années quarante jusqu'à la fin du vingtième siècle. On peut lire dans son volume de l'année 1970 (Le buisson ardent) que pour lui, la "vérité" est "l'unique enjeu de l'entreprise", le but de cette "longue confidence" consistant à "expliquer honnêtement" la "personnalité" et le "destin" de l'auteur. Dans cette mesure, "consigner des insignifiances" participe également à la constitution d'un "grand autoportrait". Il affirme aussi sa préférence pour ce genre à celui des mémoires, dans lesquels la vie peut être résumée avec plus de densité mais où se perd la "fleur des événements et des sentiments", dont la fraîcheur "ne survit pas au recul".
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