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Journal documentaire
3 octobre 2019

Lettre documentaire 509 : Bordeaux, 1972

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BORDEAUX, 1972

      Je ne possède aucun plan de Bordeaux. Quand je m'installe dans une ville inconnue, acheter un plan m'est indispensable. J'ai un plan de Paris, bien que je ne me sois jamais installé à Paris, et bien qu'en vérité, pour les quinze jours que j'y ai passés, je n'en avais aucun besoin : la ville est pleine de pancartes, et même de plans électriques ou électroniques, dans les couloirs et les entrées du métro. En outre la Tour, que l'on peut voir de n'importe où, sert de repère. Du reste, si l'on est perdu, il est distrayant de demander son chemin, et ça marche. Enfin j'ajouterais qu'il est amusant de se perdre dans Paris. Je possède aussi un plan de Buenos Aires, indispensable, surtout pour toutes les rues qui portent un nom différent de part et d'autre de l'avenue Rivadavia. Mais je n'ai aucun plan de Bordeaux, et je ne me rappelle pas si j'en ai jamais eu, parce que quand je suis rentré en Uruguay j'étais furieux, vaincu, blessé et bouleversé, et je n'avais rien voulu emporter de mes affaires, que les choses les plus indispensables, comme la série de photos d'Antoinette, et seulement ce que pouvait contenir le sac que je portais à l'épaule.
      Le plus probable est que je n'ai jamais acheté de plan de Bordeaux, parce que je n'avais pas particulièrement envie, ni besoin, d'aller où que ce soit, et que la ville était simple, bien quadrillée, avec une avenue principale où l'on trouvait tout le nécessaire et même un peu plus. En tout cas, c'est l'impression que j'en garde.
      Mais maintenant il me faudrait un plan de Bordeaux pour pouvoir repérer l'emplacement de mon logement par rapport à l'église, et voir où exactement se tenait le marché du samedi. Je suppose que le bâtiment où j'habitais se situait à un coin de rue, parce que depuis la fenêtre de la chambre je pouvais voir le côté de l'église, plus exactement une palissade de planches en assez mauvais état, où était fixé un panneau invitant à visiter la catacombe aux momies. J'essaie de rapporter, présentement, les moments de terreur que j'ai connus à Bordeaux, et il me semble opportun de mentionner ce panneau. Quand j'allais dormir, je n'oubliais jamais qu'à quelques pas de là, non loin de ma tête de lit, il y avait une catacombe pleine de momies. Bien entendu je n'ai jamais accepté l'invitation, ni ne suis jamais entré dans l'église, de je ne sais quel siècle, par la porte principale ni par aucune autre. Je ne sais pas non plus de quel siècle datait le bâtiment où je vivais, je peux seulement déduire qu'il avait été construit avant l'invention de l'ascenseur.
      Le fait est que la rue où donnait la fenêtre de la chambre n'était pas la même que celle où se trouvait l'entrée de l'immeuble, c'est pour ça que je pense que nous habitions à un coin de rue. Or à partir de ce coin, la rue s'élargissait pour se transformer en une sorte d'avenue, et au début de cet élargissement il devait y avoir une petite place, devant l'église, parce que le samedi matin il y avait là un marché, et j'y arrivais directement en sortant de chez moi. Je ne sais pas si c'est bien clair. Mais enfin.

(Début du chapitre 3 de Burdeos, 1972, par Mario Levrero. Buenos Aires : Mondadori, 2013. Traduction française Ph. Billé)

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