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Journal documentaire
15 novembre 2018

andromaque

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Dans le tram ces temps-ci je lisais Andromaque. L'Andromaque de Racine. Il se trouve que j'avais remis la main, il y a quelques semaines, sur l'exemplaire que j'avais égaré, après l'avoir acheté d'occasion par correspondance, il y a quelques années, amusé du fait que c'est sans doute l'oeuvre la moins connue, la moins coûteuse et la moins discutée du défunt professeur Faurisson, qui en fut l'éditeur pour Hachette. J'avais la curiosité, je m'attaquais au défi de lire ce que je ne lis jamais, une pièce de théâtre, qui plus est du théâtre classique français. Celle-ci est peut-être une des rares que j'avais lues par obligation au collège, il y a une éternité, et dont j'avais perdu tout souvenir. Le livre n'était pas très attirant comme objet : corné, taché, ridé, avec une partie de la page de titre déchirée, la fille qui me l'avait vendu n'avait pas honte. Malgré quoi il présentait une certaine solidité, ces Classiques illustrés sont un rare cas de collection de poche aux volumes reliés par couture et non simplement à la colle, et sa minceur en faisait un candidat idéal comme livre de tram. Et puis il m'amusait d'aborder dans ce cadre une matière aussi étrangère à mes habitudes qu'à celles de la faune bigarrée des Transports Bordeaux Métropole. A vrai dire la matière de Troie m'est si peu familière que j'ai d'abord passé plusieurs trajets, donc plusieurs jours à lire et à relire au moins deux fois toutes les pages liminaires en début et en fin d'ouvrage. Chronologie, notice sur la légende gréco-troyenne, analyse de la pièce, présentation des personnages, légendes des photos de vieilles représentations en sculpture, peinture et gravure et de quelques acteurs et actrices, extrait de l'Iliade, jugements sur la pièce, sujets de composition (impressionnants de difficulté) et lexique. Le plus intéressant était l'explication de la situation et des antécédents. C'est une drôle de configuration que cette chaîne de désaccords : Oreste n'aime qu'Hermione, laquelle n'aime que son fiancé Pyrrhus, lequel n'aime que sa prisonnière troyenne Andromaque, laquelle n'aime personne, que son défunt mari Hector et leur fils Astyanax. Racine suit une version minoritaire de la légende, selon laquelle le petit Astyanax n'a pas été massacré dans le sac de Troie, mais a été enlevé avec sa mère. De ce fait le jeune survivant peut représenter une future menace pour les princes grecs, qui réclament sa tête à Pyrrhus. Celui-ci a le choix de le leur livrer, et de perdre à coup sûr le coeur d'Andromaque, ou de le protéger en faisant pression sur elle pour qu'elle l'épouse. Il se range à ce chantage d'un goût douteux, qu'elle accepte en envisageant secrètement de se suicider aussitôt après le mariage. Mais voilà qu'Hermione furieuse réussit à convaincre le pauvre Oreste affolé d'assassiner Pyrrhus, et tout cela finit mal. D'ordinaire je prise les alexandrins, mais j'ai trouvé cette accumulation (il y en a 1648) un peu saoulante. Je n'en connaissais que deux jusqu'alors : le 880e, qui a fourni à Frédéric Roux le titre d'un de ses livres («Et mon fils avec moi n'apprendra qu'à pleurer»), et le fameux 1638e, celui des serpents qui sifflent sur vos têtes, prononcé par le pauvre Oreste quand il devient fou. Ce qui m'a le mieux plu est la fin de la pièce, quand la passion est à son comble, aveugle les personnages et les plonge dans la confusion des sentiments («Ah! ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais», Hermione, 1396). Autrement j'ai bien aimé le beau vers d'Oreste «J'ai mendié la mort chez des peuples cruels» (491) et du même celui-ci, à valeur d'aphorisme, «Chacun peut à son choix disposer de son âme» (826). Je note chez Pyrrhus cet hémistiche, «La victoire et la nuit» (212) qui donnerait un bon titre. Un des grands mérites de cette pièce est d'illustrer sans fard l'empire tyrannique que les dames savent exercer sur les hommes.

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