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Journal documentaire
6 novembre 2018

31 for 30

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Je suis très honoré que mon ami Geof Huth ait eu la bonne idée de m'envoyer de New York son dernier ouvrage, 31 pwoermds for 30 years, paru en septembre en cent exemplaires. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un livre, mais d'une série de trente-deux fiches en bristol blanc non reliées, de moyen format (14 x presque 22 centimètres), contenues dans une enveloppe en papier kraft où est imprimé le titre abrégé 31 for 30.
Dans la première de ces fiches, le recto fait office de page de titre et le verso présente une «Introdeduction» explicative. L'objet de cette publication est de commémorer une période de trente années (1987-2017) pendant laquelle l'auteur a consacré une part essentielle de son activité à l'art subtil de forger des mots. (Il publiait dans le temps un micro-périodique intitulé The Subtle Journal of Raw Coinage dont le numéro 64, fin 1992, fut en co-édition la Lettre documentaire n° XX, où je présentais un premier état de mon Verbier.)
Les trente-et-une autres fiches sont consacrées chacune à un mot créé lors d'une des années de la période en question. Chacune comporte donc au verso un seul mot, imprimé en grosses lettres, et au verso des renseignements (année de création, éléments constitutifs, technique(s) employée(s), référence de publication (pas forcément la même année que la création), enfin jour précis et lieu de création (ce poète est aussi archiviste)) et des commentaires (souvenirs des circonstances de création, considérations sur les propriétés du mot, etc).
La période retenue commence en 1987, année de création du concept-clé de «pwoermd», auquel est naturellement consacrée la première fiche. Ce néologisme formé de l'imbrication des mots poem + word désigne les poèmes consistant en un seul mot fabriqué, genre dans lequel Geof a montré au fil des ans le talent d'un artisan fertile. Je dois avouer que je n'ai jamais bien aimé ce néomot utile mais incommode (mais je ne lui ai jamais trouvé de concurrent valable, sauf à recourir à une périphrase comme word-poem ou one-word-poem, et l'équivalent que je lui ai créé en français, poémot, ne me plaît pas beaucoup non plus à cause de son air pataud, malgré l'avantage d'être plus facilement lisible). J'observe que l'auteur semble exprimer lui-même des réserves quant à ce néologisme : dans une note de 2014, il se réfère à un autre mot comme étant «encore pire» (even worse) que pwoermd, et dans sa fiche de 1987 il prend la précaution d'indiquer la façon dont le terme sonne à son oreille (pwarmed), ce qui «peut vous aider à le prononcer». En revanche il fait remarquer une qualité formelle du mot pwoermd, constitué en son centre du groupe de lettres oer (pouvant évoquer «o'er», forme poétique ancienne de «over»), de part et d'autre duquel les deux paires de lettres pw et md offrent une parfaite symétrie inversée. J'aime bien ce détail, qui m'avait échappé.
La plupart des mots présentés dans ce recueil sont du domaine de l'anglais : même s'ils n'appartiennent pas au lexique normal, leur forme générale et leurs éléments constitutifs les rattachent d'évidence à la langue anglaise. On trouve cependant parmi eux un terme bilingue franco-anglais, «leafeuilleaf» (2003), un autre entièrement français, «presqu'avant» (2013) et même un créé en finnois, «käsättämätän» (2009). En considérant ces néomots avec l'oeil du traducteur, je n'en vois qu'un d'aisément transposable en français, «ignity» (2014), qui peut donner «ignité».
Les poémots de ce recueil sont de taille variable. Deux d'entre eux sont si longs qu'ils n'auraient pas tenu dans la largeur de la fiche et ont dû être imprimés dans le sens de la longueur : l'un d'eux compte 22 lettres (en 2012), l'autre est un pangramme utilisant les 26 lettres de l'alphabet (2016). A l'inverse, le plus bref est le minimalissime «Ï» de 2010 : un I majuscule avec tréma, figurant «la dualité et la multiplicité de tout individu».
Les commentaires de Geof sur ses propres oeuvres sont souvent utiles, toujours intéressants, parfois amusants. Il est du genre à préciser, dans sa fiche de 2004, que tel de ses livres avait été conçu en écho à l'oeuvre précédente d'un autre écrivain, laquelle avait déjà, entre temps, suscité les livres de deux autres auteurs, et à faire remarquer que l'intervalle entre les quatre publications (1970, 1990, 2000, 2005) avait diminué chaque fois de moitié. Je découvre dans la fiche de 2007, à propos d'un mot constitué uniquement de consonnes, la notion de «vowellessness» (absence de voyelles). On sourit en écoutant l'auteur affirmer en 2010, à propos de son poémot «ly», que «beaucoup de gens dans le monde se sont fait tatouer ce poème sur l'avant-bras».
Cette lecture m'a inspiré le néomot «geofgraphy», qui conviendrait assez bien pour désigner l'écriture de Geof.

J'apprends qu'il reste encore à l'auteur une bonne part de son tirage, de sorte qu'il n'est pas impossible aux personnes intéressées de se procurer l'ouvrage

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Commentaires
F
Une pente douce…<br /> <br /> Le Nunez en question a écrit chez Grasset un livre sur les "premières phrases". <br /> <br /> Il m'a l'air, comme on dit, "bien placé"<br /> <br /> As-tu remarqué que Philippe Lançon a, désormais, un faux air de Michel Ohl ?
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P
Oui. Je faisais exprès de confondre. C'est ma pente facétieuse.
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F
C'est exact, c'est au Cerf… mais le Nunez en question n'est pas le Nuñez de l'Intérieur.
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P
Plutôt Le Cerf, selon saint Google.<br /> <br /> Comme quoi le ministère de l'Intérieur mène à tout.
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F
Fais passer à Laurent Nunez ("Il nous faudrait des mots nouveaux", Grasset).
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