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Journal documentaire
17 avril 2016

kamen et l'Inquisition

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Un trait que j’aime bien chez Henry Kamen, c’est qu’il est un des rares historiens de renom, avec son collègue américain Stanley Payne, à avoir soutenu l’auteur controversé Pío Moa, que la communauté universitaire traite généralement comme un pestiféré. Je n’ai pas le temps, ni d’ailleurs besoin, d’étudier en détail le pavé de Kamen sur l’Inquisition, qui passait à ma portée (il s’agissait d’une traduction espagnole, parue en 2013, de la version révisée : La Inquisición española, mito e historia) mais j’ai voulu en lire deux chapitres.

Le chapitre 7, «El fin de la España morisca», m’intéressait car il traite d’une question que je regrette de ne pas mieux connaître, celle de la coexistence problématique et finalement l’expulsion, dans les années 1610, de la population arabo-musulmane, ou berbéro-musulmane, restée en Espagne après la fin de la Reconquête du pays par les chrétiens en 1492. L’auteur ne fait qu’esquisser le tableau sur une trentaine de pages, mais donne un aperçu assez nuancé des différents degrés d’intégration ou d’hostilité des Morisques, et des opinions très contrastées que s’en faisaient les puissants, et les intellectuels. A certains égards la cohabitation de «communautés» aux cultures différentes (religion, langue, moeurs vestimentaires et alimentaires, etc) n’est pas sans rappeler la situation de l’Europe d’aujourd’hui confrontée à l’immigration massive. Le pire conflit semble avoir été la révolte dite des Alpujarras, dans la province montagneuse et maritime de Grenade (1568-1571), dont l’auteur estime que «ce fut la guerre la plus brutale qui se déroula en Europe au cours de ce siècle». A la suite de quoi les autorités cherchèrent une solution dans ce que nous appellerions aujourd’hui la «mixité», en déportant quelque 80.000 Maures de Grenade vers la Castille, notamment vers des régions où les musulmans étaient jusqu’alors peu nombreux, mais où les nouveaux arrivants pressaient leurs coreligionnaires mieux intégrés de se radicaliser.

Le 15e et dernier chapitre, «Inventando la Inquisición», s’applique à distinguer ce que fut et fit réellement l’Inquisition, de la représentation exagérée qui en a été donnée au fil des siècles dans des oeuvres historiques et artistiques marquées par la propagande anti-catholique (notamment d’inspiration protestante) ou plus généralement anti-chrétienne. J’y apprends bien des choses, entre autres que le tableau de Goya intitulé Tribunal de l’Inquisition est une oeuvre de pure fantaisie, en aucun cas un témoignage. Kamen estime que le grand philologue et historien Marcelino Menéndez Pelayo a été «le seul défenseur compétent» de l’Inquisition (sans en être partisan, il va de soi). Cependant, pas dogmatique, Menéndez aurait aidé l’historien américain Henry Charles Lea à se documenter sur la question. Pour illustrer l’impact de la machine à fantasmes sur la mentalité populaire, Kamen cite le cas de Galiciens (habitant donc une province où l’Inquisition n’avait pas été le plus active) qui, sur la foi des «souvenirs» transmis par leurs ancêtres, affirmaient encore, en 1973, savoir que les inquisiteurs arrivaient de nuit dans des voitures spécialement pourvues de roues en caoutchouc pour ne pas faire de bruit, écoutaient aux portes et aux fenêtres des maisons ce que disaient les gens, et enlevaient les plus belles filles afin de les torturer. La documentation sur la réalité ne suffit pas toujours aux Monsieur Plus de la «Mémoire».

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