bizarrerie des araignées
J’ai pris le temps de feuilleter les deux guides des araignées, de Michael Roberts et de Heiko Bellmann, empruntés récemment (voir au 1 décembre), et j’ai parcouru leurs introductions. Cela n’a pas fait de moi un expert, mais m’a quelque peu éclairé sur la singularité de ces animaux. Les araignées se distinguent des insectes principalement parce que ceux-ci ne possèdent que trois paires de pattes, soit six, alors qu’elles en ont quatre paires, soit huit (des pattes divisées en sept articles, et les scientifiques donnent un nom particulier à chacun, de la hanche au tarse) mais il y a d’autres différences. Le corps des insectes est constitué de trois segments (tête, thorax, abdomen), celui des araignées de deux (céphalothorax et abdomen). Les insectes sont tous dotés d’antennes, et presque tous d’ailes, dont les araignées sont dépourvues, mais elles ont à l’avant une paire de pédipalpes (sorte de bras servant à diverses actions, mais pas à la locomotion) et des chélicères (sorte de mâchoires). Les insectes sont souvent sonores, les araignées toujours silencieuses. On peut collectionner les insectes, pour les contempler ou les étudier, en les épinglant et en les laissant simplement sécher, tandis que les araignées ne se conservent que dans des flacons d’alcool, ce qui ne favorise pas les vocations d’aranéologue. Elles ont au cul des sortes de glandes, les filières, par où elles sécrètent la soie dont certaines se servent pour tisser des toiles, des cocons, ou pour emmêler leurs proies. Leur tête est pourvue de six ou huit yeux, dont parfois deux proéminents et les autres moindres, un peu comme les deux phares principaux et les lumières secondaires des voitures (les macro-photos de Bellmann sont saisissantes à cet égard). Il existe dans la classe des arachnides un ordre distinct, les opilions, sortes d’araignées grêles au corps d’un seul bloc, n’ayant que deux yeux et pas de filières. Il existe aussi un genre d’araignée vraie d’allure très fine, les Pholcus, comme celles qui sont installées autour de la porte d’entrée, dans ma datcha. La seule autre espèce que j’identifie, de mémoire, ce sont les grandes Tegenaria noirâtres. Elles se promènent la nuit dans les maisons et parfois tombent dans un évier ou une douche, d’où elles ne peuvent ressortir, j’en ai trouvé ainsi plusieurs fois. Sous nos latitudes, le corps des araignées, sans compter les pattes, atteint rarement deux centimètres de long, et reste souvent inférieur à un demi-centimètre. Le dimorphisme sexuel est parfois spectaculaire, comme chez les espèces d’Eresus où le mâle, au bel abdomen rouge, semble n’être qu’une miniature à côté de l’énorme femelle noire (voir ci-dessus photo de Bellmann). On trouve parfois dans les greniers ce qui semble être des araignées mortes, et ce ne sont que les dépouilles d’individus qui ont mué, comme ces bêtes font plusieurs fois avant d’atteindre leur taille adulte. Chez certaines espèces, les petits s’entredévorent, les plus faibles servant de pâtée à ceux qui survivront. Chez d’autres, la mère meurt peu après l’éclosion, et les petits s’en repaissent. C’est le genre de détail par quoi la nature me paraît plus aimable, vue de loin. Chez plusieurs espèces les jeunes se dispersent en se laissant tomber dans le vent, depuis un point élevé. Il arrive que l’aventure tourne mal, quand la bestiole atterrit dans la mer ou dans un lac. Parfois les courants d'air ascendants l’emmènent à plusieurs kilomètres d’altitude et elle y meurt gelée. Toutes les araignées sont venimeuses, et tuent leurs proies en leur injectant du venin, mais il paraît que sous nos climats la plupart des espèces, notamment les espèces domestiques, sont impuissantes à percer la peau humaine, et ne représentent donc pas de danger. Roberts affirme que «Excepté sur le littoral méditerranéen (en raison de la présence de Latrodectus tredecimguttatus), il n’y a absolument rien à craindre des araignées autochtones, même si Argyroneta aquatica, Steatoda nobilis et les grandes Cheiracanthium doivent être manipulées avec précaution.» Mais on pourra se demander pourquoi au juste prendre des précautions, s’il n’y a rien vraiment à craindre? Depuis quelques semaines, que j’ai ces guides entre les mains, je guette l’occasion d’examiner une araignée avec mon compte-fils, et je réalise qu’il est pratiquement impossible d’en immobiliser une, ou de l’approcher assez, sans la tuer, et donc l’écraser. Roberts a mis au point un système ingénieux de «pot d’observation», mais je ne sais si j’irai jusqu'à en fabriquer un. J’étais curieux de connaître un peu ces animaux, je ne suis pas impatient de les connaître mieux. Ce qui m’étonne dans ces deux livres, plus encore que la bizarrerie des araignées, c’est le talent des observateurs spécialisés, la quantité d’informations précises qu’ils ont pu accumuler.