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Journal documentaire
2 juin 2015

sansou revisité

Huppe_fasciee_ad_3B_24042012___Hyeres

Il y avait une éternité, à tout le moins quinze mois, que je n’étais retourné en Dordogne, visiter mon bois de Sansou, à Cunèges, et j’y suis allé enfin vendredi dernier. C’est devenu pour moi un sujet d’inquiétude, un de plus. Aller jusque là-bas n’est plus une petite affaire : il y a quatre-vingts ou quatre-vingt-dix kilomètres de route, dont beaucoup de passages à cinquante à l’heure dans les villages, ce qui représente à mon allure une heure et demie bien tassée de trajet. Et le soir venu, comme je n’ai plus le refuge de chez ma mère à Bergerac, il me reste le choix entre prendre la route du retour, avec les risques liés à la fatigue, ou bien me faire héberger chez des amis, ce qui est sympathique mais ne va pas sans créer d’autres problèmes, notamment de me rajouter de la route (le bois se trouvant au sud-ouest de la ville, mes hôtes dans la campagne au nord-est). Avec ces difficultés, ajoutées à mon peu de disponibilité et d’énergie, et au fait que je ne dispose pas d’un compagnon de voyage, le temps a passé et j’en étais à me demander si je referais un jour ce trajet. 

Je me suis réveillé un peu trop tôt vendredi matin, vers 5 heures et quart, et je n’arrivais pas à me rendormir, alors je me suis préparé et j’ai appareillé peu avant sept heures, si bien que j’étais parmi mes arbres à huit heures et demie. Je suis parti par la route de Branne, en comptant rentrer par celle de Libourne, afin de revoir au maximum ces paysages que je ne suis maintenant pas sûr de revisiter. Sur place, comme j’étais incertain de l’état du chemin d’accès, j’ai laissé la voiture au bord de la route et je suis descendu à pied, botté, avec dans mon sac à dos l’équipement léger que j’avais prévu. Le chemin est cahoteux et envahi d’herbes mais il était assez sec dans la partie critique, et dans l’après-midi je suis retourné chercher ma voiture, pour la descendre sur les lieux et charger des bouts de bois. Dans le terrain m’attendaient le genre de petites surprises catastrophiques, ou catastrophes surprenantes, qui à vrai dire ne m’étonnent plus qu’à moitié. D’une part, le long du ruisseau (ce terrain est riverain du Brajaud sur cent cinquante mètres) plusieurs aulnes, qu’on appelle ici des vergnes, avaient été coupés à ras, d’ailleurs proprement, et emportés, il n’en restait que quelques billots et entames qui traînaient à proximité (c’est principalement eux que j’ai chargés dans ma caisse). Les souches étaient celles d’au moins deux gros arbres (40 à 50 cm de diamètre) et quatre ou cinq plus petits (dans les vingt centimètres). On ne voyait sur le sol aucune sciure, aucune trace de travail ou de transport, car l’opération a dû être réalisée il y a longtemps, peut-être l’an dernier, et l’herbe a tout recouvert. Je ne saurais affirmer qu’il s’agit de pillage, même si les arbres ont disparu, car cette espèce n’est pas recherchée, et un voleur de bois s’en serait plutôt pris à mes érables ou à mes frênes. C’est peut-être une opération de nettoyage, menée par Dieu sait qui, car il est vrai que ces aulnes sont instables, plusieurs se sont déjà écroulés, obstruant le ruisseau, et d’autres menaçaient d’en faire autant. Il y avait déjà eu une opération de nettoyage du ruisseau et des rives, dans mes premières années de propriété, mais alors on avait eu la correction de me prévenir par courrier. (Je pense en écrivant cela qu’on a peut-être voulu le faire cette fois aussi, mais qu’on n’a plus mon adresse). D’autre part, du côté du chemin, près de l’entrée du terrain, il y avait plusieurs jeunes arbres cassés, comme si une énorme machine leur avait passé dessus. Je distinguais des traces anciennes, sur le sol couvert de lierre. Je ne comprends pas ce qui s’est passé là, qui a fait quoi, comment et pourquoi. Que faire, après ces constatations de faits datant déjà, dont je ne sais si l’un a rapport avec l’autre? Je vais y réfléchir, ou laisser pisser. Il y avait aussi des dégâts naturels. Dans le milieu du terrain pousse une série de bouquets d’aubépines, de quatre ou cinq troncs chacun. J’ai trouvé un de ces bouquets complètement mort, un autre à moitié. J’ignore si c’est l’effet d’une maladie, d’un parasite, ou de l’ombre chaque année plus épaisse des frênes environnants, qui les dépassent. La considération de ces désagréments, ajoutée à la pensée anxieuse que je faisais peut-être là ma dernière visite, m’a mis d'humeur mélancolique et j’ai passé mon repas à ressasser ces problèmes. J’avais apporté du jambon, un peu de pain, une poire, quelques cerises, je ne sais plus quoi. Et de l’eau. Il ne faisait pas mauvais, le temps était couvert sans être pluvieux le matin, et l’après-midi il s’est éclairci sans chaleur excessive. Toute la journée j’ai entretenu comme d’habitude un grand feu pas très utile mais assez beau et agréable. Je me suis occupé à nettoyer, à inspecter, et à flâner. Il y a du côté sud un pied de buis, jadis offert par ma mère et mon fils, qui a pris maintenant une ampleur monumentale. Il n’y avait quasiment pas âme qui vive : un fantôme de grenouille, une fauvette-éclair, de lointains échos de loriot, et le grand calme.

Le soir chez mes hôtes, nous étions à table avec un ancien, que j’étais heureux de rencontrer par ce hasard, ne l’ayant revu depuis fort longtemps. Comme il est chasseur, nous en sommes venus à parler d’animaux, entre autres des Huppes, dont il me disait qu’elles sont appelées dans le coin des «pupus». Le nom viendrait selon lui de l’attirance de ces oiseaux pour les bouses de vache, où elles piquent volontiers leur long bec incurvé. Je n’ai pas osé le contrarier mais l’explication me paraissait douteuse, et il me semblait que l’on devait rapprocher ce surnom des Huppes de leur appellation onomatopéique (en latin «upupa», l’oiseau qui crie «oup-oup-oup»). En me renseignant plus tard sur le net, j’ai appris que le même nom de pupu ou pue-pue est aussi donné dans les Charentes, et que les huppes seraient en effet doublement puantes : non seulement par leur goût pour la bouse odorante, mais aussi parce que leurs nids sont paraît-il nauséabonds. Si bien que les indications acoustique et olfactive se confondent ou se côtoient, dans ces synonymes ressemblants. A vrai dire il me gêne un peu d’avoir appris qu’un si bel oiseau pouvait être ainsi associé à quelque mauvaise odeur.

Le lendemain, avant de rentrer, je suis retourné passer un moment à Sansou, après m’être ravitaillé dans un supermarché. J’avais envisagé d’aller au marché qui se tient le samedi matin à Bergerac autour de l’église, puis j’en ai été découragé par la perspective du problème du stationnement, et par l’appréhension de revoir ces lieux familiers du centre ville, et je me suis rabattu sur un Leclerc des faubourgs. A Cunèges, je n’avais envie de rien faire. J’ai rallumé le feu devant la cabane et j’ai déjeuné sans me presser, en regardant les arbres. Puis j’ai traîné un peu, mais je ne me suis pas éternisé.

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Commentaires
D
Ca m'a bien plu aussi,<br /> <br /> et me donne envie d'aller revoir dans la Somme une peupleraie que j'avais héritée et dû revendre dans la foulée.
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D
J'aime beaucoup vos comptes rendus forestiers. On y sent le temps.
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