Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal documentaire
31 mai 2014

à propos d'Elliot Rodger

elliot

Je ne suis pas particulièrement friand des tueries de masse qui ont lieu tous les quatre matins aux Etats-Unis et c'est un peu par hasard, en feuilletant les nouvelles, que je me suis intéressé à celle qui s'est produite la semaine dernière, au soir du vendredi 23 mai, dans la ville côtière de Santa Barbara en Californie. Un certain Elliot Rodger, étudiant à l'université SBCC (Santa Barbara City College), âgé de 22 ans, a tué à coups de poignard ses deux colocataires chinois et un de leurs amis, puis il est parti dans les rues du quartier d'Isla Vista où il a encore tué trois personnes et en a blessé treize autres en leur fonçant dessus avec sa voiture ou en leur tirant dessus à coups de pistolet, avant de se suicider. (Avant d'aller plus loin, je précise que je réprouve totalement ces manières, ainsi que la mentalité des surréalistes fous furieux de jadis, qui rêvaient à l'idée de descendre dans la rue pour y tirer au hasard sur la foule à coups de révolver et trouvaient cette vision admirable).

Le premier document sur lequel je suis tombé, et qui a tout de suite retenu mon attention, est la vidéo Instagram d'environ 7 minutes dans laquelle l'auteur annonce qu'il va procéder à un massacre car le Jour du Châtiment (Retribution Day) est arrivé, jour où il va enfin se venger de l'humanité en général et des femmes en particulier, qui depuis des années l'ont fait souffrir en le maintenant dans l'indifférence et le mépris. Il se considère victime d'une injustice parce qu'à son âge il n'est jamais sorti ni n'a jamais couché avec aucune fille, n'en a même jamais seulement embrassé ou tenu une par la main. Il y a quelque chose d'incroyable dans la disproportion entre ce désagrément certes indéniable et l'ampleur de la vengeance annoncée, quelque chose de presque irréel dans le décalage entre la violence du propos et le calme du personnage aux yeux mi-clos, assez beau gosse, qui parle doucement mais sans hésitation, avec une si parfaite élocution que ses phrases pourraient être transcrites sans avoir à être retouchées. La plastique du document est elle aussi remarquable. Dans cette vidéo tournée quelques heures, ou au plus tôt la veille du passage à l'acte, la caméra vraisemblablement installée sur le tableau de bord, devant le pare-brise, filme le visage du locuteur assis au volant de sa voiture immobile. Le haut du volant apparaît en bas à droite de l'écran. On aperçoit en arrière-plan, par les fenêtres, des palmiers dont les feuilles se balancent mollement sur un fond de ciel bleu. Le visage du jeune homme est éclairé, je dirais presque glorifié, par une belle lumière crépusculaire dorée. Comme la chronologie est encore incertaine, je me suis demandé s'il s'agissait de la lumière du lever ou de la fin du jour. En observant mieux, il me semble que la ligne d'ombre monte légèrement le long du cou du personnage entre le début et la fin de la prise de vue, ce qui semble indiquer qu'à l'inverse la source lumineuse descend, et qu'on est donc au moment du coucher du soleil.

Le deuxième document que j'ai consulté est une autre vidéo, d'un peu plus de six minutes, datant d'il y a quelques semaines, intitulée Why do girls hate me so much? (Pourquoi les filles me détestent-elles autant?). Rodger y expose son problème debout face à la caméra, visiblement au bord d'une route, avec en arrière-plan un terrain en pente buissonneux. Il y a là aussi un étrange mélange de détresse sincère et de délire narcissique, allié à une certaine prestance du personnage en belle chemise bleue, qui tel un comédien met ses lunettes et les enlève, fait quelques pas en arrière et revient au premier plan, écarte les bras et fait la moue, tout en s'exprimant avec une parfaite aisance. (J'ai vu par la suite plusieurs autres des vidéos que Rodger avait publiées sur Youtube, d'une qualité assez médiocre, l'auteur montrant par exemple de beaux paysages dont il est incapable de tirer de belles images, ou filmant le défilement de la route pendant qu'il conduit en écoutant trop fort des variétés qui ne sont pas à mon goût).

Mis en appétit par ces deux vidéos, je ne pouvais manquer de m'intéresser au témoignage écrit laissé par Rodger, un pdf de 137 longues pages intitulé My twisted world (Mon monde tordu) sous-titré The story of Eliott Rodger, et je viens de passer pratiquement toute cette semaine de congé à en prendre connaissance peu à peu, ayant par ailleurs d'autres choses à faire. Les médias ont souvent présenté ce texte comme un manifeste. Il est vrai que le jeune assassin y explique les raisons (discutables) qui le conduisent au massacre, mais je vois plutôt un mémoire dans cet ouvrage où la part théorique, assez fumeuse, tient peu de place, et dont l'objet principal est l'autobiographie. Pour ma part, contrairement à d'autres, je reconnais une valeur littéraire à cette oeuvre (malgré ses aspects délirants) pour son agrément de lecture, surtout dans la première moitié (vers la fin l'auteur pleure trop souvent), le soin de l'écriture (malgré quelques rares coquilles et quelques problèmes de concordance des temps), la finesse d'analyse psychologique, le travail d'introspection, l'impudeur des aveux («I was secretly jealous … I hated him for it»), le témoignage même sur une certaine culture occidentale d'aujourd'hui (cinéma, jeux vidéos, vie sociale, Facebook, Youtube, Google maps, etc). L'auteur lui-même (dans le sous-titre et page 133) parle simplement de story (histoire, ou récit). Il évoque peu la littérature. Les oeuvres qu'il cite comme l'ayant frappé dans son enfance ou son adolescence sont surtout des films (The land before  time, Independance day, Jurassic Park, Finding Nemo, Star wars, Lord of the rings, Indiana Jones, Alpha dog, Hunger games, Ice age, etc), l'univers Pokemon (films, cartes à jouer, jeux vidéo), les jeux vidéo (Halo, Warcraft, World of Warcraft), des émissions et des séries télé (Game of thrones, etc). La littérature ne fait guère partie de ses sujets de lecture (il cite ici et là histoire, politique, sociologie, philosophie, psychologie, affaires, livres de développement personnel, avec toutefois des romans historiques et ceux de George R R Martin, 72) ni des cours qu'il suit à l'université (histoire, politique, sociologie, psychologie, géographie, astronomie, mathématiques, cinéma, anglais). Mais il envisage à un moment de devenir écrivain pour proposer des scénarios de cinéma (p 69 et autres) et mentionne deux fois qu'il tient un journal (78 & 101). Deux passages semblables, sur le fait que son métabolisme lui permettait de s'empiffrer sans grossir, sont peut-être l'indice que le texte a été remanié, donc travaillé (89, 97).

Le récit suit strictement le cours de sa vie depuis la naissance (je note au passage pour ma collection cette phrase drôlement tournée, je traduis : «Le matin du 24 juillet 1991, dans un hôpital de Londres, je suis né») et pratiquement jusqu'à la date de sa mort programmée, puisqu'il prévoit de se suicider quand la police l'aura coincé (on tombe ainsi sur des phrases inhabituelles comme «Pendant mes dernières semaines de vie, j'ai continué…» (134) ou «C'est ainsi que se termine ma vie tragique…» (135) qui semblent dictées par une voix d'outre-tombe).

J'indique ci-dessous la liste des chapitres :
Introduction (page 1).
Part one : A blissful beginning, Age 0-5 (Un heureux départ, p 1).
Part 2 : Growing up in America, Age 5-9 (Grandir en Amérique, p 4).
Part 3 : The last period of contentment, Age 9-13 (Dernière periode de bien-être, p 18). 
Part 4 : Stuck in the void, Age 13-17 (Collé dans le vide, p 40).
Part 5 : Hope and hopelessness, Age 17-19 (Espoir et désespoir, p 59).
Part 6 : Santa Barbara: Endgame, Age 19-22 (Fin de partie, p 83).
Epilogue (p 135).

A partir de l'âge de 6 ans le texte est divisé en sous-chapitres correspondant à chacune des années de vie (6 ans, 7 ans, etc), qui coïncident avec les années scolaires, puisque l'anniversaire est en plein été. Comme beaucoup de malades du syndrome d'Asperger, il est doté d'une excellente mémoire («my superior memory», p 1) qui lui permet ainsi d'évoquer par exemple le souvenir de l'anniversaire de ses trois ans (2). Il est né en Angleterre d'un père cinéaste et d'une mère malaise d'origine chinoise, travaillant aussi dans le cinéma. Quand il avait 5 ans, la famille a émigré aux USA pour s'installer à Woodland Hills («I can recall the first time I said the name on my lips», 5) à l'ouest de Los Angeles. S'ensuivent les fêtes, les déménagements, la naissance de la petite soeur, l'offre de la première console vidéo, le divorce des parents, les différents arrangements de la garde alternée, les écoles successives, le premier téléphone portable, la naissance du petit demi-frère, la première masturbation et la première éjaculation, l'apprentissage de la conduite, le départ pour étudier à Santa Barbara les dernières années. Il a vécu une enfance heureuse dans un milieu plutôt aisé (avec toutefois des hauts et des bas) et n'arrivera jamais à se consoler de l'arrivée de la puberté, avec laquelle il découvre une vie trop rude à ses yeux, entre des garçons brutaux et des filles qui semblent ne pas le voir. Il se sent en permanence humilié, et progressivement naissent en lui des sentiments de jalousie et de haine si vifs qu'il en vient fréquemment à vouloir tuer ou même torturer ses contemporains plus chanceux que lui sur le plan sexuel. La seule vue d'un couple de jeunes gens le met en rage. Il s'étonne à deux reprises que son ami le plus fidèle, James Ellis, un garçon comme lui plutôt introverti et solitaire, n'éprouve pas le même ressentiment envers les autres jeunes gens (72, 91). Peu à peu naît en lui l'idée d'en découdre de façon spectaculaire au cours de la journée particulière qu'il appelle le Day of Retribution (il parle aussi plusieurs fois de «solution finale»), dont il fixe la date d'abord à Halloween 2013, puis à la Saint-Valentin 2014, puis au samedi 26 avril et, empêché parce qu'il a pris froid (!) il la recule enfin au samedi 24 mai. Il passera en fait à l'action et trouvera la mort dès le 23 au soir.

C'était un sang-mêlé eurasien (17, 84), qui semblait avoir peu d'estime pour les Asiatiques purs et pour les Noirs (il évoque sans aménité un «ugly Black boy» (84) et un «ugly Asian» (121)). Il était aussi assez méprisant envers le genre «low class». Il était fasciné par les chevelures blondes, séduit surtout par les filles blondes, et s'était lui-même parfois fait teindre en blond. Il était complexé par sa petite taille et sa faiblesse physique, qu'il avait compensée à l'adolescence en pratiquant par périodes le skateboard, le basket, la musculation et le karaté. C'était un esthète, admettant son «penchant pour le luxe, l'opulence et le prestige» (113). Il aimait les beaux panoramas («being one who admires great views…» 36), les beaux vêtements et accessoires (Hugo Boss, 94, Giorgio Armani, 97, Gucci, 122), les beaux couchers de soleil qu'il observait jusqu'à l'apparition des premières étoiles (131) et trouvait une certaine élégance à la canne dont il a dû se servir quelque temps après s'être cassé une cheville en se battant contre des «ennemis» (126). Il était d'un narcissisme parfois naïf, se vantant d'avoir visité beaucoup de pays (en fait une demi-douzaine), se voyant comme un gentleman «intelligent», «magnifique» et «parfait» (56, 70, 81, 82, 109, 133 etc) mais il est vrai qu'il n'était pas sot. Il avait des bouffées de mégalomanie, se présentant comme rien de moins qu'un demi-dieu (135), rêvant de devenir dictateur pour enfermer toutes les femmes dans des camps de concentration et les regarder crever de faim depuis un mirador (136). Ca n'est pas toujours très convaincant, mais c'est tout de même plus excitant que des borborygmes dadaïstes ou des bêlements de poésie équitable.

Publicité
Publicité
Commentaires
W
se pauvre jeune homme a eux une fin horrible si les femmes l aimais rien de tous sa ne serais arrivé je remarque moi même je fut beaucoup mépriser par les femmes et franchement je peux vous dire que ses dure très dure car il y a certaine femmes qui sont très matérialiste
Répondre
P
Ah.
Répondre
K
pauvre garçû<br /> <br /> la perte précoce du pucelage ( qui comme on sait est un oiseau qu'on met en cage ) n'est pas plus enviable<br /> <br /> je vais pas me raconter <br /> <br /> disons simplement que ça enlève ensuite toute magie à la sexualité et qu'il faut quasiment une vie pour s'y réadapter<br /> <br /> et aussi que ça provoque , chez des jeunes matures sexuellement mais pas affectivement, un genre d'addiction dont il est très difficile de se débarrasser , pour reprendre l'expression de miller "on y fait passer toute sa matière grise"
Répondre
Journal documentaire
Publicité
Journal documentaire
Archives
Publicité