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Journal documentaire
20 novembre 2013

notes sur la bibliothèque de Gomez Davila

davilaJ'ai su assez tôt, en m'intéressant à Nicolas Gomez Davila, qu'il existait un catalogue de sa bibliothèque, réputée riche de quelque trente mille volumes. Peut-être l'ai-je su par Franco Volpi, l'éminent davilien, à qui j'avais envoyé un exemplaire de ma livrette Studia daviliana, lorsque je l'ai publiée, en 2003. C'était l'époque où j'habitais une sorte de case au fond d'un jardin, dans une petite rue de Talence. Volpi s'était procuré mon numéro de téléphone et m'avait appelé là un soir, depuis l'Italie, à ma grande surprise. Dans la conversation, il m'a dit qu'il m'enverrait une copie de ce catalogue. Mais enfin il ne l'a pas fait, puis il s'est tué dans un accident de vélo en 2009, et j'ai songé plus d'une fois que je ne verrais jamais ledit document. En y repensant naguère, j'ai eu l'idée de m'adresser à un jeune davilien, italien lui aussi, Antonio Lombardi, qui a su m'envoyer aussitôt, par courrier électrique, l'«Archivio NGD», sous les espèces d'un fichier Excel. Je lui en suis infiniment reconnaissant.

A vrai dire la précieuse liste, dont je ne sais au juste d'où elle provient ni qui l'a réalisée, présente l'aspect d'un simple inventaire, plutôt que d'un catalogue proprement bibliographique. C'est un immense tableau dans lequel les informations sont réparties sur cinq colonnes, et où une ligne est consacrée à chaque livre. Les deux premières colonnes, à gauche, sont des colonnes numériques, présentant un léger décalage, et dont on se demande pourquoi elles sont deux. Elles comptabilisent une somme de 16894 ouvrages, qui peut bien correspondre à un total de trente mille volumes. Les trois autres colonnes indiquent l'auteur, le titre, et le nombre de volumes de chaque ouvrage. Les autres références bibliographiques usuelles sont absentes : pas d'indication de la ville, de la maison, ni de l'année d'édition, pas de collation, pas de mention d'auteurs secondaires (préfaciers, traducteurs etc), pas de détail pour les entités du type Oeuvres complètes, mentionnées elles aussi sur une seule ligne, avec juste le nombre de volumes. Malgré son profil minimaliste, cette liste est un excellent instrument à la disposition de l'exégète, ou du simple curieux souhaitant s'enquérir de ce que l'aphoriste colombien conservait dans sa bibliothèque.

Il faut dire que cet inventaire gagnerait en fiabilité, si l'on prenait la peine et le temps de le perfectionner, en corrigeant les erreurs qu'il contient. Elles sont de trois sortes. D'abord, l'ordre alphabétique n'est pas toujours bien respecté (on trouve par exemple les oeuvres de «Paulhan, Fr.», puis celles de «Paulhan, Jean», puis de nouveau celles de «Paulhan, Fr.»). Ensuite, les noms sont parfois mal transcrits, de sorte que leur égarement dans l'ordre alphabétique les rend introuvables (par exemple, on n'ira pas chercher Orwell à Oewell, Guénon à Quenon, Tallemant à Telleman, Tzara à Tazra, Toulet à Youlet, etc). Enfin les règles ordinaires de la bibliographie sont ignorées, si bien que certains noms se retrouvent classés à des places inattendues (un Albert Camus classé au prénom, Chesterfield classé à «Lord Chesterfield», Du Jarric à «Father Pierre du Jarric», Daniel-Rops à «Rops, Daniel», saint Augustin à «Saint, Augustin», Lévi-Strauss à «Strauss, Claude Lévi», etc). De même la particule «de» n'a pas été rejetée, si bien que l'on trouve à la lettre D un gisement de plus de trois cents entrées à De Ceci ou De Cela.

Les 16894 livres sont donc classés dans l'ordre alphabétique plus ou moins rigoureux des noms d'auteur, mis à part 550 ouvrages collectifs placés en vrac sous l'entrée «Various», et 134 oeuvres anonymes placées en fin de liste, elles aussi sans ordre apparent. Les livres sont dans plusieurs langues, les plus présentes étant l'espagnol, le français, l'allemand, l'anglais et le latin. On ne trouve pas mention de textes en grec, les titres des classiques grecs n'apparaissant que dans les langues citées. Deux ouvrages sont signalés comme ayant un «Author in Chinese» et un «Title in Chinese». Il y a aussi un certain nombre d'ouvrages en italien et en portugais. Il s'agit là sans aucun doute de l'inventaire d'une collection remarquable par la quantité comme par la qualité, une collection qui offrirait un fonds de base avantageux pour une bibliothèque universitaire. On y trouve non seulement tous les classiques auxquels on peut s'attendre, mais aussi beaucoup de mémoires, beaucoup d'études érudites (Les idées morales chez les hétérodoxes latins, The mind of primitive man...), et des ouvrages plus polémiques (La névrose révolutionnaire, Démarxiser l'université...).

N'ayant guère le temps de consacrer à cet inventaire une étude raisonnée, j'aimerais toutefois conclure ces notes en mentionnant de façon purement subjective quelques présences et quelques absences remarquées en parcourant à la hâte cette longue liste, où l'on trouve par exemple un Améry (Geburt der Gegenwart), plusieurs Aron, zéro Asturias (tant mieux), des Bainville, le Byzantinisches Christentum de Hugo Ball, quatre Barthes (c'est beaucoup), un Alain de Benoist (Vu de droite), six recueils de Francisco Luis Bernardez, un seul Cabanis (Plaisir et lectures), plusieurs Caillois (dont sa Description du marxisme), aucun Caraco (ce serait trop beau), un seul Cau (Les écuries de l'Occident), trois Céline (Voyage, Mort à crédit, Féerie), quatre Char (c'est aussi beaucoup, à mon goût), sept Chardonne, six volumes de Letters de Lord Chesterfield, deux douzaines de Chesterton, cinq Cioran, deux Cortazar, de nombreux Daudet (dont quatre Alphonse et trente Léon), un Déon (Les poneys sauvages), deux Derrida (était-ce bien nécessaire), une oeuvre du «father» Pierre Du Jarric (bizarrement en anglais, Akbar and the Jesuits), un Duras (Le square), pas moins de douze Dutourd, huit Ellul, aucun Garcia Marquez (compatriote de Davila et prix Nobel), maints Gomez de la Serna (dont naturellement les Greguerias), le Mein Kampf de Hitler (en v.o.), onze Jouhandeau, des Jünger (aussi bien Ernst que Friedrich Georg), les Ecrits de Lacan (quelle horreur), aucun Lovecraft, un Mencken (indispensable), un seul Merton (bizarrement en allemand), quatre Monfreid, deux Mosebach (peut-être offerts par l'auteur lors de sa visite initiatique), deux Mutis seulement (ce qui surprend, si lui et Davila étaient amis), un seul Nabokov (l'inévitable Lolita), zéro Néruda (c'est bien fait), deux Nimier (Le hussard bleu et Le grand d'Espagne), Le matin des magiciens de Pauwels et Bergier (mouais), un Plievier (Stalingrad), deux Prévert (Fatras et Paroles), quatre Queneau, un Roussel (La vue), huit Sachs, un seul Simenon (La maison du Canal), les Historiettes de Tallemant des Réaux (en six volumes), un Tolkien (The fellowship of the Ring), trois Töpffer, quatorze Toulet, un seul Troyat (Le jugement de Dieu), huit Yourcenar. Mais un tel inventaire est comme un vieux bouquin, dans lequel il est bon de retourner prospecter de temps en temps.

Post ScriptumPeu après la publication de cette note, un davilien avisé, Michaël Rabier, me faisait savoir que d'autres que moi s'étaient déjà intéressés à la bibliothèque de Gomez Davila, et parmi eux lui-même. Il est l'auteur d'une note éclairante sur le sujet, parue sur le site Bibliothèques des philosophes (Biblioteche dei filosofi), consacré aux «bibliothèques philosophiques privées à l'époque moderne et contemporaine» (et coproduit par l'Ecole normale supérieure de Pise et l'université de Cagliari). On y apprend ce détail biographique, que lorsque Davila fut tombé malade, ses proches ont descendu son lit dans la bibliothèque, de sorte qu'il est mort parmi ses livres. Il apparaît que c'est la propre fille de l'écrivain, Rosa Emilia Gomez Restrepo, qui avait fait un premier inventaire des livres, en suivant l'ordre topographique dans lequel leur propriétaire les avait disposés. C'est ensuite seulement que l'on a rangé la liste selon l'ordre alphabétique des auteurs. D'après l'article cette collection, devenue le Fonds Gomez Davila de la bibliothèque Luis Angel Arango (propriété de la Banque de la République de Colombie), compterait exactement 16935 titres, correspondant à 27582 volumes. En fin d'article, on peut télécharger l'inventaire sous la forme d'un pdf ("Inventaire Alpha Fonds Davila"), qui semble être le même document dont je disposais sous Excel.

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Commentaires
G
@ l'auteur,<br /> <br /> <br /> <br /> Je me compte parmi les plus fervents davilien depuis ma découverte des Horreurs de la démocratie, paru aux Editions du Rocher en 2004 je crois.<br /> <br /> Si vous disposez toujours du fameux catalogue Excel de sa biblioth_que, ça m'intéresse beaucoup... Mon mail est joint dans le formulaire de commentaire.<br /> <br /> Cordialement,
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P
Le corps du Delly, ha, ha.<br /> <br /> J'avais trouvé chez du Jarric une version u naufrage de la nef Santiago.<br /> <br /> http://www.editions-chandeigne.com/ShowProduct.aspx?id=57&title=Le-naufrage-du-Santiago-sur-les--Bancs-de-la-Juive--(Bassas-da-India,-1585)-
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R
Un tel inventaire ne dit rien des goûts de l'homme. Ce n'est pas comme si sa bibliothèque ne comportait qu'une dizaine de livres seulement (voire une centaine). Je pense que dans la mienne (trop abondante aussi) il doit même traîner un Delly !<br /> <br /> Ceci dit il y a des trouvailles. J'ignorais tout ce ce jésuite, Pierre Du Jarric, et de son "Histoire des choses plus memorables advenues tant ez Indes orientales, que autres païs de la descouverte des Portugois", et Google books m'a comblé !<br /> <br /> <br /> <br /> RB
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