son cousin
L'autre jour ma mère m'a demandé si j'étais son cousin, et quand je lui eus répondu que non, elle m'a demandé mais alors qui j'étais. Jamais encore je ne l'avais sentie aussi égarée. Elle perd la tête depuis des années, le mal d'Al a fini par gagner. Au début j'avais remarqué peu à peu ses négligences, ses indifférences, les vêtements qu'elle ne me reprisait plus, les questions qu'elle ne posait plus. Puis je me suis habitué à ce que, quand je lui rendais visite, ce pour quoi je roulais deux heures, elle m'accueille en demandant à travers la porte qui c'était, puis en s'étonnant de mon arrivée, genre ah c'était aujourd'hui que tu venais?, même si j'avais téléphoné juste avant de partir. Et bien sûr il n'y avait rien à manger. Je me suis habitué au frigo désert, ou soudain trop rempli de tomates dans tous les compartiments, ou contenant bizarrement huit fromages identiques, dont plusieurs passés de date, ou pire. Peu avant Noël elle est tombée une fois de plus, on ne saura jamais si ce fut chez elle ou dans la rue, les pompiers l'ont emmenée pour l'examiner, les médecins ne lui ont rien trouvé de cassé mais ont constaté qu'elle divaguait, ne savait dire sa ville ni le mois, et ils l'ont internée à l'asile. Le temps de quelques visites, j'ai connu cette geôle sans joie, sécurisée, caoutchouteuse et décourageante, ressemblant assez au nouveau mouroir bordelais où elle vient d'être installée. Rarement j'ai eu aussi peu envie de raconter ma vie.