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Journal documentaire
17 décembre 2012

journaliers de Jouhandeau

jouhandeauJe n'avais jamais lu Jouhandeau, j'ai été enchanté de le découvrir au hasard de ce petit volume XXV de ses Journaliers, intitulé La mort d'Elise, et couvrant la période d'octobre 1970 à septembre 1971, au cours de laquelle donc décéda l'épouse, qui depuis des années n'avait plus pour lui que haine et mépris, et faisait en sorte que ni lui ni quiconque n'ignore la vivacité de ces sentiments, jusqu'aux derniers instants. Marcel donne sans gêne quelques détails qui permettent de juger de la situation, comme le salon où était leur seul téléviseur, où monsieur était interdit de séjour, et dont madame seule détenait la clé, ou encore la découverte post mortem des économies énormes qu'elle avait accumulées pour elle au fil des ans, alors même qu'il était plus d'une fois obligé de vendre ses biens pour assurer leur subsistance. On se demande comment il a pu supporter si longtemps une relation aussi ingrate et humiliante. Lui-même évoque l'obligation morale qu'il éprouvait de respecter le sacrement du mariage, auquel il avait accepté de s'engager. Certains hommes, ensorcelés par une mauvaise femme, lui restent fidèles par faiblesse, parce qu'ils préfèrent être malheureux mais en compagnie que d'être seuls. Ce ne peut être le cas de Jouhandeau, qui n'était pas attaché sentimentalement, et courait les garçons, raison probable de la mésentente. Aussi l'argument de la loyauté au serment paraît-il croyable.

J'apprécie la retenue, le détachement dont l'octogénaire fait preuve en évoquant ces misères, apaisé peut-être en constatant que le cauchemar est fini, qu'il peut occuper tranquillement sa maison, et jouir de la présence radieuse du petit garçon adoptif, qui illumine visiblement ses vieux jours. Son genre de caractère et sa droiture morale me le rendent sympathiques. Sa mentalité traditionnelle lui fait considérer l'homosexualité comme un égarement, il en souffre, il râle contre saint Paul qui y voyait la source de tous les péchés, lui-même sent bien que l'on peut être homo mais digne et vertueux, on voudrait être là et le rassurer, lui donner raison.

Il y a une page très frappante où il transcrit la lettre qu'il reçoit d'un jeune homme, qui ne donne pas d'adresse. Parce que l'auteur, dans certaines oeuvres, s'opposant à la conception freudienne du complexe d'Oedipe, a mis en doute la tendance incestueuse des rapports mère-fils, cet épistolier apporte le témoignage de sa propre expérience, révélant que quand il était ado sa mère souvent le branlait et le suçait, et a fait de même avec ses frères. Marcel s'en déclare horrifié, je suis moi-même interloqué, je m'interroge entre autres sur les circonstances : y avait-il dans la maison un père de famille, et savait-il?

J'évoquerai enfin une anecdote plus légère. Un beau soir un «colibri» échappé de quelque part vient frapper à la vitre, puis entre dans la maison quand on lui ouvre la porte. Le domestique parvient à le prendre, et l'enferme avec les deux tourterelles. Cela m'a étonné, car à ma connaissance les colibris sont des oiseaux tropicaux, qui ont grand besoin de chaleur, or on comprend que la cage aux tourterelles se trouve à l'extérieur, dans le jardin, et la scène a lieu en novembre. Quelques pages plus loin, on signale encore que ledit colibri ne se porte pas mal. Mais au mois de juillet suivant, quand il finit par s'échapper, c'est devenu un bengali, ce qui n'est plus la même chose. Parce qu'il est âgé, ou qu'il n'y connaît rien, ou parce qu'il s'en fout, Marcel ne corrige pas. En me renseignant sur la question, j'apprends que les bengalis eux aussi craignent le froid, moins toutefois que les colibris, et je lis sur le net que des colonies de bengalis fugitifs ont vécu en liberté sur les rives de la Loire entre Orléans et Blois de 1965 à 1971, après quoi le rude hiver de 1972 les aurait anéantis. Celui de Jouhandeau aurait sans doute connu le même sort.

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