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Journal documentaire
21 février 2010

Merveilles des cultures différentes

iroquoisLe supplice des prisonniers de guerre des Iroquois

Le supplice des esclaves chez les nations de l’Amérique septentrionale que nous connaissons, est de les brûler à petit feu. Mais cette scène passe avec tant de circonstances d’une barbarie énorme, que la seule idée en fait frémir. Il est aussi désagréable que difficile d’en donner une description exacte ; cependant, comme il faut en parler, voici à peu près ce qu’on en peut dire, et cela suffira pour en avoir quelque connaissance.
           Le temps de l’exécution étant arrivé, on peint d’abord l’esclave de diverses couleurs, ce qui doit produire sur lui la même impression que fait à un criminel la lecture de sa sentence. C’est néanmoins un honneur qu’on leur fait, et une déférence qu’on a pour eux. Cependant on fait le cri dans le village pour inviter le monde a assister à ce spectacle, dont la scène doit se passer dans une cabane de conseil ou dans une place publique. Là on attache un poteau, ou bien on dresse un cadre de bois en carré, élevé sur un petit échafaud, et on allume des brasiers, dans lesquels on fait rougir des barres de fer, des poinçons, de méchantes haches, et des bouts de canon de fusil, qui sont bientôt pénétrés de feu.
            A voir tout le monde assemblé autour d’un misérable qui va finir ses jours dans les tourments les plus horribles, on dirait qu’il ne s’agit de rien moins que de la sanglante tragédie qui va se passer sous leurs yeux. Tous sont là du plus grand sang-froid du monde. On est assis ou couché sur les nattes comme dans les conseils, chacun s’entretient froidement avec son voisin, allume sa pipe, et fume avec une tranquillité merveilleuse. Ceux même qui plaignent le sort de cet infortuné sont obligés d’étouffer par respect humain les sentiments de compassion qui pourraient naître dans leurs cœurs, de peur qu’on ne leur fît un crime d’être touchés de quelque pitié pour un homme ennemi de leur nation.
            Les personnes de la cabane où il a été donné ne le touchent point ; il ne serait pas de la bienséance qu’ils devinssent les bourreaux de celui qui a été offert pour représenter quelqu’un de leur famille. Mais chaque cabane en a une autre, qui est obligée de lui rendre ces sortes d’offices, et de fournir des exécuteurs de ceux qu’elle a rejetés. Ce sont ceux-là d’ordinaire qui commencent : d’autres viennent ensuite sur les rangs avec des présents, pour avoir le plaisir de brûler quelque partie du corps à discrétion. Sur la fin, tout le monde s’en mêle indifféremment. La jeunesse surtout s’y distingue, et paraît ingénieuse à le faire souffrir.
            (…)
            Si l’esclave se promène dans la cabane, ou dans la place, on l’arrête, ou l’on va à lui pour le tourmenter s’il est déjà attaché au poteau. Mais, afin que ce plaisir cruel dure plus longtemps, on ne le touche que de loin à loin, sans émotion, ni précipitation. On commence par les extrémités des pieds et des mains, en montant peu à peu vers le tronc : l’un lui arrache un ongle, l’autre décharne un doigt avec les dents, ou avec un méchant couteau ; un troisième prend ce doigt décharné, le met dans le foyer de sa pipe bien allumée, le fume en guise de tabac, ou le fait fumer à l’esclave lui-même. Ainsi successivement on ne lui laisse plus aucun ongle ; on brise les os de ses doigts entre deux pierres ; on les coupe à toutes les jointures ; on lui passe et repasse plusieurs fois sur un même endroit des fers embrasés, ou des tisons ardents, jusqu’à ce qu’ils soient amortis dans le sang, ou dans la graisse, qui coulent de ses plaies ; on coupe morceau par morceau les chairs rôties ; quelques uns de ces furieux les dévorent, tandis que d’autres se peignent le visage de son sang. Lorsque les nerfs sont découverts, on y insère des fers pour les tordre et les romp re ; ou bien on lui scie les bras et les jambes avec des cordes, qu’on tire par les deux bouts avec une extrême violence.
            Ce n’est là cependant que comme un prélude, et quelquefois, après avoir passé des cinq et six heures de temps à ce cruel exercice, on délie l’esclave pour le laisser en repos, et on diffère le reste de l’exécution à une autre séance. Mais ce qui paraîtra étonnant, c’est que la plupart de ces malheureux, fatigués et épuisés, dorment si profondément, pendant cet intervalle, qu’il faut ensuite leur appliquer le feu pour les réveiller. Il est néanmoins plus ordinaire de ne point donner un si grand relâche à leurs douleurs, et de ne les point abandonner qu’on ne les ait achevés.
            Lorsqu’on commence à brûler au-dessus des cuisses, les douleurs se font sentir bien plus vivement, et la cruauté de ces barbares prend de nouvelles forces, quand l’état pitoyable où est réduit le patient devrait davantage la ralentir. Souvent ils lui font une espèce de chemise avec de l’écorce de bouleau à laquelle ils mettent le feu, qui s’y conserve longtemps, et fait une flamme qui a peu d’activité. Souvent ils se contentent de faire des torches de cette écorce, dont ils lui brûlent les flancs et la poitrine ; d’autres fois ils passent dans un cercle plusieurs haches qu’ils font rougir dans leurs brasiers, et leur attachent ce cercle autour du col en forme de collier. Ces haches et ces torches font élever des pustules d’où il découle une graisse, où ces bourreaux trempent leur pain, qu’ils dévorent ensuite avec fureur.
            Enfin après avoir brûlé lentement toutes les parties du corps, en sorte qu’il n’y a pas un espace qui ne soit une plaie, après avoir mutilé le visage de manière à le rendre méconnaissable, après avoir cerné la peau de la tête, arraché cette peau de dessus le crâne, versé sur ce crâne découvert une pluie de feu, de cendres rouges, ou d’eau bouillante, ils délient ce malheureux, ils le font encore courir s’il en a la force, et l’assomment à coups de bâton et à coups de pierre ; ou bien ils le roulent dans les brasiers jusqu’à ce qu’il ait rendu le dernier souffle de vie qui lui reste, a moins que quelqu’un par pitié ne lui ait arraché le cœur, ou ne l’ait percé à coups de poignard, tandis qu’il était attaché au poteau.

Joseph-François Lafitau, S. J., Mœurs des sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps (1724), morceaux choisis réédités chez Maspéro, collection La découverte, 1983, tome II, pages 87-91.

 

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