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Journal documentaire
29 octobre 2009

Lettre documentaire 467

mauraREFLEXIONS ET CONFIDENCES du Duc de Maura

Bien que je ne me sois jamais enivré, j’ai toujours aimé le bon vin et je me régale d’un bon cognac après le repas. Je déteste depuis tout petit la viande de veau, et le mouton me répugne.

Ainsi donc, si j’étais né maure, la Pâque musulmane aurait été pour moi une prolongation désagréable du jeûne coranique.

Les régimes politiques seraient bien plus féconds et durables que d’ordinaire, si l’aristocratie de chaque pays pouvait se maintenir indemne sur plusieurs générations. Mais le processus dégénératif s’avère partout inévitable.

Les descendants des meilleurs sont bientôt des médiocres, et les descendants de ceux-ci tombent souvent jusque dans l’aboulie, le crétinisme ou la dépravation.

La mentalité aristocratique de la Renaissance dédaignait, parce qu’il était servile, non seulement le travail manuel, mais aussi le travail intellectuel rémunéré.

Au contraire, la mentalité communistoïde d’aujourd’hui méprise (quand elle n’y est pas hostile) toute spéculation scientifique ou littéraire pratiquée avec un désintéressement notoire.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec le contenu moral de certain refrain populaire, perpétué par Manuel de Falla, selon lequel nous autres mortels naissons tous condamnés à être en ce bas monde enclume ou marteau.

Je déclare que n’ayant pas la vocation pour asséner sans rime ni raison des coups aux autres, je n’ai pas eu grand mal à fuir ou à esquiver ceux d’autrui.

Il n’existe en réalité que deux états d’esprit humains : envieux, ou compatissant. Mais toutes, absolument toutes les créatures passent de l’un à l’autre, à intervalles plus ou moins durables, entre le berceau et le cimetière.

Si les émanations de l’esprit n’étaient impalpables, on constaterait bientôt que les âmes humaines sécrètent des matières plus sales encore que les corps. Et cependant la beauté de celles-là se remarque en général moins que celle de ceux-ci.

Il n’y a pas de femme à qui sa beauté permette de retenir indéfiniment l’attachement d’un homme. Mais sa bonté, si.

Je n’ai jamais partagé les préjugés aristocratiques, et je m’en suis toujours tenu aux faits et aux œuvres. J’ai toujours eu plus d’estime pour le grand homme d’origine humble, que pour le Grand d’Espagne à l’âme de laquais. Mais rien ne me semble plus horrible que l’envie mésocratique, par principe bassement hostile à tout ce qui est distingué.

Si cette mesquinerie doit prévaloir dans les nouvelles générations, je demande avec ferveur à Dieu de ne pas me condamner à y assister, et de plutôt mettre un terme à ma vie.


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(Extraits de Reflexiones, confidencias y recuerdos : Cuaderno I, octubre de 1946, de Gabriel Maura y Gamazo, duc de Maura (1879-1963), choisis et traduits par Philippe Billé, d’après la charmante édition de la Fundación Antonio Maura parue en 1992 et limitée à 750 exemplaires).

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