Ombre et lumière
A un ami, que de sérieuses raisons tiennent à l’écart du siècle, je donne maintenant rendez-vous à l’église, où l’on n’est pas bousculé. Ainsi toutes les quelques semaines hantons-nous Saint-André, parfois Saint-Ferdinand... Nous nous installons discréto dans un coin et discutons de nos affaires à voix basse, dans la pénombre et l’encens. Lors de notre dernière entrevue, il m’a remis un manuscrit, dans lequel il a recopié avec soin et dans un certain ordre des citations de Georges Simenon, qu’il a augmentées de ses propres gloses. J’ignorais ce secteur de ses activités. Dans la jeunesse il a méprisé le grand Sim, car c’était un auteur préféré de son père. Puis à la quarantaine, pris de curiosité, il s’est mis à le lire et l’a lu en entier, ce n’est pas rien. Chemin faisant il a glané des phrases, qu’il voulait retenir. Dix ans plus tard, reprenant ce recueil, une sentence le frappe en particulier : «Il vivait parce qu’il était né, et qu’il n’était pas encore mort.» Or elle est la seule sans référence. Dans l’espoir de la repérer, il se lance «à la recherche de l’épitaphe perdue», pour cela relit l’œuvre complète, avec en outre les 3000 pages des Mémoires. Mais la maudite phrase est restée introuvable. Mystère. Au moins le double voyage a-t-il donné lieu à ce soigneux florilège. «Il y a sept calembours dans Simenon», y lit-on quelque part. On mesure bien là que le patient lecteur a lu le romancier en faisant attention. Je note parmi les observations que dans le sommeil, «on n’a plus d’âge», cela me paraît avéré dans les rêves. Sur ce, me reportant à la bio de Simenon dans Wikipedia, j’apprends que «ce chien» (disait de lui ce pauvre con de Sartre), qui a résidé quelques années en Charente maritime, l’a évoquée comme «une région lumineuse». Impossible ici de ne pas repenser au Normand Levionnois, frappé de trouver dans le département une lumière «florentine» ou «toscane». A ce propos j’ai remarqué un autre aspect italien de la Charente, la façon de réduire à i certains L, dans le parler local le blanc est bianc, façon bianco, etc.