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Journal documentaire
23 août 2009

Sur Jean Fonteneau

imagesLA FAUNE BRESILIENNE DANS LA COSMOGRAPHIE DE JEAN FONTENEAU.

Le navigateur charentais Jean Fonteneau, dit Alfonse de Saintonge ou le Saintongeais, naquit vers 1483 à Saint-Même, dans le canton de Jonzac, et disparut à une date et dans des circonstances incertaines, vers le milieu du seizième siècle. «Cappitaine-pillothe» de François Ier, il est connu surtout pour ses explorations des côtes canadiennes, où il accompagna des pionniers comme Roberval et Cartier. Toutefois ses nombreux voyages le conduisirent sous des latitudes fort éloignées de là, et jusqu’en Asie. Il a laissé de rares écrits, dont le principal est une somme de ses connaissances géographiques intitulée La cosmographie, avec l’espère et régime du soleil et du nord. Ce volumineux traité achevé en 1544 resta à l’état de manuscrit inédit jusqu’à sa publication à Paris en 1904 chez Ernest Leroux Editeur, par les soins de l’archiviste-paléographe Georges Musset, qui a enrichi l’ouvrage d’une introduction, de notes et d’autres documents. Le copieux volume ne compte pas moins de 599 pages, dont plus de 450 sont occupées par le texte de la Cosmographie. Dans ce vaste panorama le Brésil tient une place assez discrète, puisqu’il n’en est question que sur une quinzaine de pages (p. 406-422). Comme dans le reste du livre, c’est essentiellement la côte du pays qui est présentée, depuis la «rivière de Mareignan» (l’Amazone) jusqu’à la «rivière de Prate» ou «d’Argen» (Rio de la Plata). Pour la plus grande part le texte a la teneur d’un routier, donnant les indications utiles à la navigation, portant sur la configuration de la côte, la distance entre les points remarquables, la situation des embouchures et des îles, etc. Il s’en éloigne par instants pour fournir ponctuellement quelques informations ethnographiques (par exemple sur l’anthropophagie, p. 412), botaniques (sur l’ananas, p. 413) ou zoologiques. Ces dernières sont laconiques et peu nombreuses, en voici le détail.
    OISEAUX.
    La plupart des animaux brésiliens évoqués par Fonteneau sont des oiseaux. Il recourt quelques fois à une appellation générale : telle île abrite «forces oiseaulx de mer» sans autre précision (p. 409), il y a dans le pays «plusieurs vollatrices» (ou «vollatines», p. 413, le transcripteur hésite sur la forme de ce terme qui semble équivaloir à «volatile») et «toutes aultres manières d’oyseaulx» (p. 422). Les oiseaux cités plus précisément sont les suivants.
    Certain «cap de l’Alouette», qui se situerait par 2 ° de latitude sud, est mentionné trois fois de suite page 409. L’identification de ce toponyme disparu me paraît impossible. L’Alouette en question n’étant pas un animal brésilien, l’appellation se réfère peut-être au nom d’un marin ou d’un navire.
    Les «autruces» (soit évidemment les nandous) et les «perroquetz» sont cités ensemble à deux reprises, p. 411 et 422, comme étant en abondance dans le pays. Si les perroquets sont les oiseaux brésiliens le plus communément signalés par les voyageurs de l’époque, les «autruches» du pays ne l’avaient guère été, jusqu’alors, que dans le Diário de navegação de Pero Lopes de Sousa (1525).
    «Forces poulles blanches comme celles de nostre pays» se trouveraient en certaine région (p. 413). Comme il n’existe pas de poules indigènes au Brésil, il faut supposer que celles-ci étaient ou descendaient de celles importées par les Européens.
    Les «faisans» et «perdrix» signalés à la même page n’existent pas en Amérique, mais c’est régulièrement sous ces noms que les Européens ont désigné les oiseaux dont l’allure et le statut de gibier recherché sont équivalents. Ce sont d’une part les tinamous (famille des tinamidés, famille unique de l’ordre des tinamiformes) dont les voyageurs d’antan ont régulièrement présenté les espèces, selon leur taille, comme des cailles, des perdrix ou des faisans (certaines aujourd’hui encore sont communément appelées perdizes). D’autre part les oiseaux galliformes de la famille des cracidés, soit les hoccos, dont le gabarit est plus proche des faisans.
    L’auteur mentionne à la suite «une aultre manière d’oyseaulx noirs qui ont le bec rouge et sont fort bons à manger», dont on peut remarquer que les couleurs correspondent exactement à la plus grande espèce brésilienne des cracidés, le mutum-cavalo ou mutum-etê (Mitu tuberosa).
    ANIMAUX AQUATIQUES.
    Ils ne sont évoqués que dans deux phrases consécutives, pages 421-422.
    Dans la première, l’auteur signale que dans le Rio de la Plata, «y a forces vers qui mangent les navires et fauldroit plomber les navires pour y passer». On reconnaît là les tarets, bivalves vermiformes appartenant donc à l’embranchement des mollusques, et connus pour perforer le bois et le calcaire. Ce témoignage a quelque valeur historique, car à ma connaissance il n’y a pas d’autre rédacteur qui ait mentionné la présence de ces animaux dans le pays avant Gabriel Soares de Sousa, évoquant les mêmes «gusanos» dans son Tratado descritivo do Brasil, en 1587.
    Dans la phrase suivante, Fonteneau déclare que «aux rivières d’Argen et de Mareignan y a de plusieurs sortes de poyssons et de grandz lisars et y a des poissons fort dangereux lesquelz mangent les hommes, s’ilz les peuvent attraper.» Ici apparaissent deux classes de vertébrés, les poissons nommément cités, et les reptiles représentés par les «lisars». C’est à propos de cet énoncé que Georges Musset produit son seul commentaire zoologique, en avançant dans une note en bas de page que «Les grands ‘lizars’ et les poissons qui mangent les hommes, seraient les caïmans». Cette hypothèse est plausible, sans être certaine. Il est vrai que les Européens ont régulièrement désigné les sauriens américains comme de grands lézards (le mot anglais alligator n’est d’ailleurs qu’une déformation de l’espagnol «el lagarto») mais l’expression s’applique aussi bien aux iguanes vivant sur les rives. Et si ce sont les caïmans que l’auteur a nommés lézards, on ne voit pas pourquoi immédiatement après il leur donnerait le nom de poisson. Ce dernier terme peut très bien s’appliquer à certaines espèces de poissons anthropophages, marines comme les requins, qui s’aventurent volontiers dans les embouchures, ou fluviales comme les piranhas.
    MAMMIFERES ?
    J’examinerai enfin le cas incertain d’animaux que Fonteneau évoque à deux reprises, sous les dénominations presque identiques de «furetaulx» («y a forces autruces et perroquetz et furetaulx noirs les plus beaulx de toute la terre du Brésil», p. 411) et «furtetz» («y a ... forces oyseaulx comme perroquetz, furtetz, autruces et toutes aultres manières d’oyseaux», p. 422). L’auteur fournit peu d’indications quant à ces êtres, qui sont nombreux (il y en a «forces»), dont certains sont noirs selon le premier énoncé, et qui selon le second semblent appartenir à la classe des oiseaux. Les noms qui les désignent n’appartiennent ni au français moderne, ni à l’ancien, ni au parler saintongeais, ni au tupi. A vrai dire je me demande s’il ne faut pas tout simplement voir en eux le radical «furet», prolongé d’une terminaison diminutive : fureteau et furetet. S’il s’agit de petits furets, ce sont donc des mammifères et non des oiseaux. Les animaux que le voyageur a ainsi désignés ne sont probablement pas des furets à proprement parler, ni quelque autre espèce de la famille des mustélidés, car ces petits carnivores mènent sous tous les cieux une existence fort discrète, et il serait surprenant qu’ils apparaissent dans une relation, où il n’est question d’aucune autre espèce plus voyante de mammifère. Comme par ailleurs les témoignages contemporains sont unanimes à rapporter que la faune la plus visible du pays était constituée par les perroquets et les singes, dont les marins faisaient grand commerce avec les natifs, je pense que ce sont bel et bien les singes, que Fonteneau a désignés comme de petits furets. Cette assimilation peut nous sembler inadéquate, mais elle n’est pas injustifiée : les furets, qui sont la variété domestiquée du putois, peuvent coexister avec l’homme aussi familièrement que les singes apprivoisés, et sont comme eux de petits quadrupèdes velus, soyeux, et agiles à grimper. On se souviendra à ce propos que les caractéristiques similaires ont conduit plus d’un chroniqueur de l’époque à désigner les singes comme des chats : ainsi les «gatos» de l’anonyme Livro da nau Bretoa (1511), de Fernández de Oviedo (1526) et de Cabeza de Vaca (1555), les «petites chattes» de Pigafetta (1525) et les «Meerkatzen» de Staden (1557). Mais à ma connaissance Jean Fonteneau est le seul à avoir eu l’idée de considérer les petits singes comme des furets.
    EN RESUME, on peut dire que l’évocation de la faune brésilienne ne constitue qu’un sujet très marginal dans la Cosmographie de Jean Fonteneau. On retiendra cependant, parmi ses observations les plus intéressantes, la description probable d’une espèce de hocco, la mention précoce des tarets, et l’évocation des singes présentés comme de petits furets.

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