Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Journal documentaire
19 avril 2009

Lettre documentaire 463

NOUVELLE THEORIE DES REVES
par Ramón Gómez de la Serna

            Les rêves, selon ma nouvelle théorie, sont tramés par les diables, et quand les diables n’y suffisent pas, ils sont inventés par les instincts, ou s’ils ont un argument dramatique et logique, ce sont des augures du destin personnel de chacun.

            Dans la grotte obscure du rêve, l’ange ne peut entrer. Dans l’égout des bas-fonds libérés, qui est en vérité au fond des rêves, aucun élément divin ne peut se trouver. On peut assurer que les rêves sont abandonnés de la main de Dieu.

            Seuls les naïfs peuvent échafauder ces croyances qui idéalisent les rêves.

            Les façons d’agir et de se transformer du diable sont innombrables et inouïes.

            Naguère, me trouvant dans un jardin, il arriva un insecte aux ailes rouges qui disparut en s’enfonçant dans la partie éclairée du sentier, où il n’y avait ni n’est resté aucun orifice, qui puisse expliquer cette disparition. Cela m’a fait penser que la diablerie n’a pas besoin de se déguiser en Méphistophélès de théâtre, mais qu’elle peut prendre l’aspect d’un simple insecte. Pourquoi appelle-t-on petit cheval du diable un insecte aux grandes ailes bleues? N’est-ce pas la meilleure façon pour les diables, de se promener de par le monde sans attirer l’attention?

            Dans les rêves, toute la profondeur de l’être est souterraine et obscure, c’est un cloaque où le diable se régale, où l’esprit du mal court en tous sens comme un rat.

            Tout ce qui entre dans la perversion dormante abandonnée de Dieu, suit un chemin préparé par les tire-lignes et les compas lucifériens. Ne voit-on pas que s’il n’en était ainsi, les rêves ne seraient qu’un fatras de choses et d’illusions, un brassage présidé par le hasard le plus bête?

            Si nous examinons bien la façon dont commence le sommeil, nous observerons la présence d’une sorte de maître nageur qui nous emmène par la main à la mer ou à la piscine des rêves, où nous éprouvons une sensation de froid d’abord, puis de bien-être.

            Ce qui est occulte joue dans le sommeil, et seul le vilain démon peut avoir l’idée de faire ce qu’il fait avec ceux qui s’aiment, à savoir que quand ils sont endormis l’un à côté de l’autre, ils ont des rêves de trahison, leurs cauchemars les pervertissent.

            De même qu’aux heures diurnes et nocturnes, avant de tomber dans le sommeil, l’esprit du mal vient du monde de l’or, de la domination et de la région des vents mauvais, dans le sommeil il vient de l’intérieur, du sous-sol canalisé.

            Il y a des nuits où les rêves sont ourdis par le diable père, ou par quelque diable de première catégorie, alors surviennent des rêves à la manière de Bosch, qui a si bien peint comme des rêves les tentations de saint Antoine. Il y a tout, dans ces rêves spéciaux, admirablement miniaturisés et dont l’effet de réalisme est de ce fait encore plus terrible. (Ceux qui meurent en dormant, c'est qu'ils ont fait l'erreur, pour fuir un mauvais rêve, d'ouvrir la porte de la Mort au lieu de celle de la Vie.)
           Lorsque ces diables majeurs se relaient auprès du couple d’amoureux, l’homme doit réveiller sa femme en même temps que lui, pour ne pas la laisser sous l’empire de Lucifer, qui est le grand abuseur des femmes endormies.

            Vous ne sentez pas que vous êtes libre, quand vous sortez d’un rêve?

            C’est pourquoi l’homme supérieur veille, ne veut pas se coucher, fait tout ce qu’il peut pour passer la nuit blanche à parcourir les rues nocturnisées, car à l’état de veille Dieu nous protège en surveillant depuis là-haut ce qui arrive.

            La clairvoyance du noctambule lui permet d’échapper au Ténébreux, lequel agit outrageusement comme tel sur ceux qui dorment, profitant de ce qu’ils sont reclus jusqu’au matin dans des alcôves fermées, enfoncés dans le souterrain des rêves.

«Nueva teoría de los sueños», in Nuevas páginas de mi vida, 1957. Traduction Philippe Billé.

Publicité
Publicité
Commentaires
Journal documentaire
Publicité
Journal documentaire
Archives
Publicité