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Journal documentaire
11 mars 2009

Lettre documentaire 458

serna2BROUILLAGES ( Greguerías)
de Ramón Gómez de la Serna (1888-1963)
traduit(e)s de l'espagnol par Frédéric Larchenc
en 1988 et parues bien plus tard

dans la gazettule Eden, n°s 2945 & 2946
(à Chalette sur Loing)
d'où nous les reprenons
avec l'accord de l'éditeur Pierre Ziegelmeyer)

Les manucures mettent nos mains à tremper comme s’il s’agissait de morues.

Le cygne orgueilleux semble porter sous son aile le dossier de ses poèmes.

Les serpents des veines nous dévorent le cœur.

L’hirondelle hausse les épaules au milieu de son vol.

Le seul musée qui ne ferme jamais est le Musée des Morts.

Camoens et Cervantès sont comme deux compagnons d’asile, l’un borgne et l’autre manchot.

Le paon royal est un mythe en retraite.

Le séducteur pêche la femme avec deux hameçons quand il lui offre des boucles d’oreille.

Reliez toutes les étoiles avec un crayon lumineux et vous verrez apparaître la silhouette de Dieu.

Seins : Le mystère mobile.

Le livre est le gilet de sauvetage contre la solitude.

Pour se consulter soi-même il faut se mettre un costume noir.

Grenade : Coffre contenant les joyaux de la sultane.

Télévision : L’écho de l’image.

Les hirondelles frôlent à peine l’étang, comme si elles prenaient juste ce qu’il faut d’eau pour se signer.

Le miel est un vol.

L’enfant crie : «Ce n’est pas juste !... à deux contre un !...» Et il ne sait pas que toute la vie c’est cela, à deux contre un.

Les papillons sont comme des amateurs fous de photographie qui veulent prendre des instantanés des enfants et des fleurs.

La rose, un sein vers l’intérieur.

Les hirondelles en volant brodent dans le ciel le manteau qu’elles pensent offrir en cadeau à la Vierge.

Les mouches sont si dévouées à leur tâche qu’elles restent au bureau quand les employés s’en vont. Quel exemple !

Un crâne de bœuf dans la campagne : la mort est venue jouer à la corrida dans les parages.

La mer aime l’impunité, aussi efface-t-elle toute trace sur la plage.

Dante allait tous les samedis chez le coiffeur pour se faire tailler la couronne de laurier.

Qu’est-ce que l’illusion ? Un soupir de la fantaisie.

Phrase fleurie et décorative : «Les oiseaux-mouches papillonnaient sur les ne-m’oubliez-pas.»

Quand on enveloppe l’enfant dans la serviette après le premier bain de mer, on dirait qu’il vient de naître de nouveau.

Le hurlement est le cri le plus noir du paysage.

La guitare est juste à la bonne taille pour que le guitariste s’appuie sur elle comme sur un fils.

Le pianiste tire les notes désespérées du pan de son frac.

Les rames sont les cils des bateaux.

Les chaises profitent de l’obscurité pour faire des crocs-en-jambe à leurs propriétaires.

L’arme la plus dangereuse de la caserne est la trompette.

Le miracle du marbre se révèle quand apparaissent les seins de la statue.

Le braiement est la sirène des champs.

Les hirondelles couvrent de signatures le parchemin du ciel en hommage au beau temps.

Celui qui sait dormir est celui qui dispose l’oreiller entre l’épaule et la mâchoire comme si c’était le violon des rêves.

Avant de mourir, le vieux marin demanda un miroir afin de voir la mer pour la dernière fois.

Les premiers cheveux blancs sont les faufils de la vieillesse.

Le savon meurt en carte d’adieu.

Ce fut la perte du ver à soie que d’avoir un berceau d’or.

Dans les joncs restent les grosses larmes de la lumière.

La guêpe est la pimbêche des insectes.

Le buffle a gardé un torticolis de sa première charge.

Quand l’ancre remonte, on s’attend à voir une baleine accrochée à son grand hameçon.

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La roue qui, détachée de l’automobile accidentée, continue de rouler, semble courir en quête des premiers secours.

Le saule joue de la harpe dans l’eau.

Le chien se jette à nos pieds comme s’il était déjà en train de garder notre sépulcre.

Quand la cigogne revient à son nid, on dirait qu’elle vient de faire des achats pour ses petits.

C’est seulement dans les jardins botaniques que les arbres ont des cartes de visite.

Chaque mot renferme un noyau incomestible : son étymologie.

L’épaule de l’aile est plus douce et polie que l’épaule de la femme.

Des buvards couverts d’une écriture si entrecroisée qu’on dirait les lettres d’une amoureuse provinciale.

La façade de la maison était devenue toute jaune, mais on soigna l’ictère de la concierge, et elle guérit.

Tousser c’est s’étrangler avec le riz noir de la toux.

Au fond des miroirs un photographe est blotti.

En regardant vers le haut dans les rues étroites, on voit naître les seins du ciel.

Célibataire : Celui qui ne tient pas le compte de ses mouchoirs.

Le nombril n’entend pas les conférences.

Ce qui indigne le plus le bijoutier volé, c’est que les voleurs laissent avec mépris les écrins vides, comme s’ils avaient mangé des moules.

Le q est un p qui fait demi-tour.

La mort n’a pas besoin de faux ; il lui suffit de frapper l’élu avec un chrysanthème.

Le fumeur de pipe a besoin de se marier, pour que sa femme l’avertisse de temps en temps que quelque chose est en train de brûler.

Toutes tes bagues seront trop grandes pour la main de ton squelette.

Une basse à la voix si grave qu’elle semblait chanter des épitaphes.

Il y a des roses couleur sang qui semblent s’être blessées avec leurs propres épines.

Quand dans l’arbre il ne reste plus qu’une feuille, on dirait qu’il porte l’étiquette de son prix.

Certaines nuits de pleine lune, on dirait que la nature est en train de se filmer elle-même.

Il y a des expressions qui demandent à être notées sans explications : «Le poulpe enchaîné», «Le squelette allègre du théâtre», «Les fougères mères du brouillard», etc.

Le train nous fera toujours penser à un crime qui s’enfuit.

Le ver danse en se traînant la danse du ventre.

Il y a des mouches cancanières qui viennent de la maison des beaux-frères.

Celui qui appelle les délits des «actes délictueux» est de ceux qui boivent des «boissons spiritueuses».

A la demi-bouteille de vin, il manquera toujours l’autre moitié.

Le rêve est un entrepôt d’objets égarés.

La nuque de la mer est dans la vague.

Toutes les Vénus se ressemblent de derrière.

Quand le charbon est incandescent, il se souvient de tout, jusqu’aux temps où il était arbre vert dans un monde rempli d’espérance.

La plume détachée du cygne vogue aussi fièrement que lui, sans se noyer ni se mouiller.

Le souffle de l’âme bombe à peine ses seins.

Pensée consolatrice : le ver aussi mourra.

Quand la chauve-souris va se coucher, elle sait déjà les nouvelles de dernière heure.

La lune porte au visage les taches des envies de sa mère.

Le ruisseau est le téléphone de campagne du champ.

Ce qui évoque le mieux le monde primitif, ce sont les cendres laissées par le vagabond dans le fossé et sur lesquelles on voit encore la trace de la marmite.

La douleur la plus grande : quand l’éléphant a mal aux défenses.

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Commentaires
R
Celle-là? elle est plus dure.
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