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Journal documentaire
2 juillet 2008

Regarder les étoiles

Cr_399Vers le tout début des années 90 ou la toute fin des années 80, je suis venu à m’intéresser à l’astronomie, par le hasard de recherches documentaires entreprises pour un projet artistique, qui devait ne jamais aboutir, et par le hasard supplémentaire d’un premier manuel de base (le Guide de l’amateur, de chez Gründ) offert par des amis chez qui je passais. Je crois que quiconque approche ce domaine est bientôt happé par la fascination de données extraordinaires. Ce genre de chiffres circulaient : le soleil n’est qu’une étoile et notre galaxie, à laquelle appartiennent toutes les étoiles visibles dans le ciel, en compterait au moins cent milliards. Or il y aurait dans l’espace au moins cent milliards de galaxies. Si la nôtre est de taille moyenne, cela permet de supposer l’existence dans tout l’univers de peut-être 100 x 100 = 10.000 milliards d’étoiles. Le nombre, la dimension des astres, leur distance, sont autant de sujets de vertige, qui retiennent l’attention.
Personnellement, je ne voulais pas étudier l’astronomie en profondeur, je souhaitais juste me familiariser avec le beau spectacle du ciel nocturne, acquérir le minimum de connaissance qui permette de s’orienter. En fait c’est peu de chose, il n’y a pas besoin d’une longue formation pour être capable, en toute circonstance, de repérer immédiatement le Nord et le Sud, les principales constellations, notamment le bandeau constitué par celles dites du Zodiaque, dans lequel circulent les planètes. Je pense que jadis, à la campagne, c’était là un savoir commun, de même que sans être experts en géographie nous reconnaissons tout de suite, devant un planisphère, où se trouvent les océans, les continents et les principaux pays.
J’ai bientôt pu me procurer d’occasion un second manuel, plus précis et très commode, The Observer’s book of astronomy, dans une vieille édition de 1974. Je possédais par ailleurs une excellente paire de jumelles russes de grossissement x 12, lourdes mais solides, avec un bel étui en cuir marron odorant, fourré de feutrine bleu foncé. Le grossissement x 10 ou 12 est ce qu’il faut pour voir les choses vraiment différemment, en deçà c’est trop pauvre, au-delà ça bouge trop, il faut alors des lunettes sur pied. Muni de mes deux instruments, le bouquin et les jumelles, j’ai entrepris d’observer les unes après les autres un certain nombre de constellations et les objets remarquables qu’elles contenaient, je n’en ai d’ailleurs jamais fait tout le tour. J’ai découvert aussi les petites contraintes de l’astronome, ennemi des nuages et de la lumière. Je ne bénéficiais pas souvent du ciel pur de la campagne et je me contentais de celui du centre de Bordeaux, où j’habitais, quartier Saint-Pierre, cela suffisait à distinguer les étoiles principales.
Pendant un temps je procédais en allant méthodiquement de la documentation à la réalité, décidant chaque fois de me mettre à la recherche de tel ou tel secteur d’abord vu sur les cartes. A partir d’un certain moment, je me suis mis à opérer à l’inverse. Certains soirs, je décidais de me caler le plus confortablement possible, par exemple assis contre un pied de lit juste en face d’une fenêtre ouverte, les coudes appuyés sur les genoux, et je regardais dans les jumelles au hasard droit devant moi, puis j’essayais de retrouver sur les cartes le coin de ciel que j’avais sous les yeux. Lors d’une des premières occasions, au début de l’été 1990, je suis tombé sur un objet, dont l’aspect inattendu me surprenait. C’était un alignement de six étoiles, assez régulier pour donner l’impression d’une formation artificielle, comme une réplique plus petite mais plus complète des trois étoiles du baudrier d’Orion, que tout le monde (ou presque) a vues. Je ne savais de quoi il s’agissait, mes guides n’en disaient rien, je n’arrivais pas même à localiser à l’intérieur de quelle constellation se trouvait la menue figure, quelque part aux confins de la Flèche et du Renard. C’était typiquement le genre d’objet invisible à l’œil nu, mais tout à fait conspicuous dans les jumelles.
A défaut de mieux, j’ai décidé de baptiser «hexastre» ce rang de six étoiles, et je suis retourné le contempler assez souvent pour établir, à défaut de mieux, l’itinéraire visuel me permettant de le retrouver à volonté. Je l’indiquerai ici à l’intention de qui aurait la curiosité de s’y rendre. Il faut pour cela étudier les cartes un minimum, ou se faire aider par un connaisseur. Il est commode, pour s’orienter, de repérer d’abord un grand triangle, facilement visible dans le ciel des soirs d’été. Il est formé par les alphas, c’est à dire les étoiles principales, celles de plus grosse magnitude apparente, de trois constellations : Deneb (l’alpha du Cygne), Altaïr (l’alpha de l’Aigle) et Vega (l’alpha de la Lyre). C’est en descendant en ligne à peu près droite de Vega vers Altaïr que l’on rencontre le bel hexastre. Si l’on atteint la petite silhouette très reconnaissable de la Flèche, c’est qu’on est allé trop bas, il faut remonter quelque peu.
En voyage à Paris, au mois d’août 1990, j’ai pu acheter à la Maison de l’Astronomie, rue de Rivoli, le premier volume, consacré à l’hémisphère Nord, du sublime atlas du ciel Uranometria 2000.0 (par Tirion, Rappaport et Lovi, publié à Richmond, Virginie, en 1989). J’y ai appris que ma petite curiosité se trouvait bel et bien dans la constellation du Renard et constituait, avec quelques étoiles voisines, le Brocchi’s cluster, soit l’amas de Brocchi, enregistré sous le numéro Cr 399, et surnommé à cause de sa forme the Coat Hanger, le Porte-Manteau ou le Cintre (bien qu’il apparaisse le plus souvent avec la boucle placée en dessous de la barre).
Il m’a été beaucoup plus long de savoir pourquoi cet amas était dit de Brocchi, et qui était le Brocchi en question. Nulle part dans les bibliothèques je n’ai trouvé l’explication. J’ai voulu me renseigner auprès des éditeurs de l’atlas mais ma lettre est restée sans réponse. Pensant la trouver auprès d’experts, je me suis inscrit pour l’année 1991-1992 à la Société Astronomique de Bordeaux, en vain. L’activité principale consistait en l’assistance à une conférence hebdomadaire, parfois passionnante, parfois au contraire très ennuyeuse, mais aucun des savants que j’ai interrogés n’a pu m’éclairer. Il y avait une petite bibliothèque spécialisée, qui ne m’a été d’aucun secours. Il m’a fallu attendre de découvrir, des années plus tard, l’usage d’internet et des moteurs de recherche, pour apprendre que le petit amas portait simplement le nom de l’astronome américain amateur Dalmero Francis Brocchi (1871-1955) qui l’avait cartographié dans les années 1920.
Et si un de ces soirs vous vous mettez à la recherche du bel hexastre, tâchez aussi de trouver, ou faites-vous indiquer, de l’autre côté du grand triangle, la jolie courbe du Dauphin, elle aussi pleine de grâce, et visible à l’œil nu.

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Commentaires
P
Sur ces questions de chiffres, je te fais confiance. Ca me fait toujours plaisir de te voir passer par ce blog, comme quand tu passes par La Croix. C'est-y pas le Festival de Saintes, ces temps-ci?
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N
100 milliard x 100 milliards = 10 000 milliards de milliards et non le maigre chiffre proposé.<br /> <br /> Salutations innombrables mon cher Philippe
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R
J'ai la même passion que vous, et les mêmes méthodes : jumelles et observatoire fruste constitué d'un vieux matelas plié et d'une fenêtre ouverte sur l'infini du cosmos !
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