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Journal documentaire
14 mai 2008

Impressions de la Cantabrie

Je remercie le Seigneur de m’avoir permis, avec Sa grosse volonté, de rentrer vivant de Santander, où je suis allé passer le dernier pont, un long viaduc de cinq jours, avec ma garde du corps.

En traversant les Landes, j’ai appris sur les panneaux routiers que «dépasser» un véhicule se dit en espagnol adelantar, soit «devancer», et en anglais to overtake, ce qui correspond étymologiquement à «surprendre». J’imaginais des panneaux, qui interdiraient de surprendre.
Baroja observait déjà, dans les années 30, qu’il y avait du côté français «moins d'usines, moins d'industrie, moins de politique, moins de curés et moins de communistes», que du côté espagnol du Pays Basque. Encore aujourd’hui on est frappé, en passant en voiture de l’un à l’autre, par la sauvagerie de l’urbanisme espagnol. Il reste ici et là dans le paysage quelques belles vues de mer et de montagne, rapidement dénoncées par le spectacle du salopage moderne. Il semble que pour les Espagnols, l’industrie soit une activité nullement honteuse ou importune, qu’il n’y a aucune raison de tenir à l’écart de l’habitat. Il convient au contraire d’installer juste à côté des maisons d’énormes usines fumantes et nauséabondes. Et tout n’est pas fini, le pays entier paraît au contraire saisi d’une véritable furie bétonnante, engagé dans une guerre à mort contre la beauté, la campagne et la tranquillité.
On remarque dans l’habitat la relative rareté des maisons individuelles et au contraire la présence massive d’immeubles collectifs, des plus pauvres aux plus cossus. La vue de ces empilements immenses, et qui essaiment à perte de vue, présente à mes yeux une perspective effrayante. Comme lorsque je dois traverser les interminables banlieues des villes françaises, les pires étant celles de Paris, où fort heureusement je n’ai plus eu à passer depuis des années, je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il adviendra, le jour où le goût de l’entassement passera de mode, et où les vastes masses populaires et bourgeoises décideront d’opter à tout prix pour la maison individuelle. Que restera-t-il de la campagne, hormis quelques glaciers, dunes et marécages ? Des parcs naturels étriqués, stérilisés à mort, avec aire de jeux idiots, sentiers balisés, rampes d’accès pour les handicapés, et bornes d’appel gratuit pour dénoncer les comportements déviants. Mais je m’égare.
J’ai bien aimé Santander, même s’il y a plu presque sans cesse. On lit une devise, artistement gravée sur les plaques d’égout, selon quoi cette ciudad est «très noble, toujours loyale, résolue, toujours bénéfique et excellentissime». Je veux bien croire que ce n’est pas faux. La capitale de la Cantabrie est une belle ville, pas folichonne, mais sérieuse et propre, bien organisée, où le grand incendie de 1941 a eu le bon goût d'épargner la vieille cathédrale, et le cloître par où on y entre. Il y a dans Santander un côté tchèque, par l’abondance des statues publiques, et le caractère souvent froid, sinon maussade, des habitants. Ils attendent avec une incroyable discipline que les feux leur permettent de traverser, même s’il n’y a plus de voitures. Ils ne rigolent pas beaucoup, mais à tout prendre je préfère ce commerce à celui de fripouilles hilares. Il y avait quelques marginaux, où n’y en a-t-il pas ? mais très rares, et on ne se sentait nulle part menacé. Un trait social frappant, du moins pour qui arrive de Bordeaux, était la quasi absence de l’immigration africaine. On notait en revanche beaucoup de visages amérindiens.
Une des statues de la ville était une statue équestre du général Franco, que des républicains zélés voudraient faire disparaître, paraît-il, comme c’est le cas un peu partout dans le pays. A quoi bon ? Cette frénésie revancharde me laisse perplexe. On peut bien cesser d’honorer ce genre d’effigies, sans forcément les enlever, ce qui coûte sans doute plus cher que de les laisser en place. Et puis franchement, si rude qu’ait été le franquisme, l’Espagne s’en est-elle plus mal portée que si les rebelles avaient perdu ? Aurait-elle moins dégusté, et toute l'Europe occidentale avec elle, si le communisme avait pris le pouvoir dans la péninsule, comme il menaçait sérieusement de le faire? Il est bien malin, celui qui peut l’affirmer. Enfin, si les gens se trouvent mieux de faire comme si leur passé n’avait pas existé, et comme si leur roi était tombé du ciel, ça les regarde, après tout... Tant qu’il ne leur vient pas à l’esprit de faire des statues équestres de Zapatero, monté sur un poney !
Dans la verdure, beaucoup d’eucalyptus, aussi à l’aise que dans leur Australie originaire, beaucoup de palmiers, dont surtout de robustes Phoenix, des tamaris et des pittosporums, des yuccas plus gros et plus grands que je n’avais jamais vus. Dans le décor, beaucoup de couleurs. Les Cantabres ne détestent pas de peindre leur maison en jaune vif ou en violet, le remorqueur de la sécurité maritime était d’un orange flamboyant.
Moi qui n’aime pas beaucoup les bars, la faim et la pluie m’y ont fait passer pas mal de temps, nous en avons écumé un bon nombre. J’ai réussi à en trouver certains sympathiques, quelques uns étaient même assez beaux, avec leur charpente, leurs tonneaux, leur éclairage. Ayant mis provisoirement mon régime entre parenthèses, je me suis gavé de bière et d’omelette, de calmars et d’olives, et de je ne sais plus quoi.
La plupart des églises étaient dépourvues de vitraux, je n’ai vu que ceux de la cathédrale. Plusieurs vieilles églises avaient autour ou devant elles un enclos charmant, fait d’un muret bas le long duquel courait une banquette de pierre. Nous avons vu un vieux pont à Liérganes, et deux cloîtres, celui de Santander, qui abrite trois lauriers et trois citronniers, et celui de Santillana.
Santillana, qui est sans doute le plus beau vieux village de la province, et qui doit être infestée de touristes en été, tient son nom de Santa Iuliana, sainte Julienne. Quant à Santander, dont j’ai longtemps cru que le nom venait de saint André, ce serait en fait Santo Emeterio, un saint dont la ville conserve les reliques.
Me sentant pour diverses raisons d’humeur basquisante ces temps-ci, j’avais emporté avec moi un vieux manuel, pour y étudier quelque peu le vocabulaire de cette langue étrangissime. J’y ai appris que le mot «dame» se dit ander. Du coup, bien que la Cantabrie soit seulement voisine et non partie du Basque Pays, mais comme la sainte patronne de la capitale est une Notre-Dame de la Mer, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer dans le nom de Santander celui d’une certaine Sainte-Dame.
Enfin ce n’était pas un mauvais voyage, que celui au cours duquel nous avons soudain vu un troupeau d’une dizaine d’éléphants, dans une verte vallée. Et j’assure que nous n’étions pas gris. Ni les éléphants, d’ailleurs, qui s’étaient roulés dans la terre ocre.

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