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Journal documentaire
25 janvier 2008

Lettre documentaire 417

DOUZE NOCTURNES DE HOLLANDE

par Cecília Meireles

    UN

Peu à peu la rumeur du monde s’affaiblit.
Les visages, les voix, altérés, se dispersent.
Le temps versatile s’échappe en des recoins
de vitre, de velours, d’accolade estompée.

La lune vient avec d’autres invitations :
elle déplie sous mes yeux la carte du ciel,
elle fait relâcher les poings serrés du jour,
et trace des chemins, transparente et abstraite.

O arbres de la nuit... Méditation aimante...
- Cette ombre me transporte tout au fond des airs,
vers les champs bienheureux où s’effacent déjà
les contours lumineux de chaque créature.

C’est la nuit sans attaches... Innocence éternelle,
exempte de décès, exempte de naissances,
si pure et solitaire, étrangère, oubliée,
muettement ouverte à d’extrêmes voyages.

Je ne vois plus qui je suis, dans la haute nuit,
ni même ne crois ETRE : je subsiste en mémoire,
à la merci des vents, des brumes apparues
sur les lacs endormis que la lune évapore.

Je recueille ton nom lui aussi partagé,
fracassé sur les digues, réparti sur les fleurs...
Mais qui connaît ton nom - aussi loin, aussi tard,
si en dehors du temps, du royaume des hommes... ?

    DEUX

Je prenais dans mes bras la nuit limpide,
la haute, la vaste nuit étrangère,
et à ses oreilles successives je murmurais :
« Je ne veux plus dormir, plus jamais, nuit, épars
nuages d’étoiles au-dessus des plaines figées,
au-dessus des canaux sinueux, oscillants et froids,
au-dessus des parcs désarmés, où la brume et les feuilles rousses
sentent venir l’automne et, ensemble, attendent
sa loi, leur destin, comme les pauvres figures humaines. »

Et à ses oreilles successives je murmurais :
« Je ne veux plus dormir, plus jamais, je veux toujours
plus de temps pour mes yeux, - vie, sable, amour profond... –
coquilles de pensées se rêvant désertiquement. »

Et la nuit me disait : « Viens donc avec moi, dans le vent des dunes,
viens voir quels souvenirs voltigent sur le front tranquille du sommeil,
et sur les paupières lisses, la pâle joue, la lèvre immobile
et les mains libres des vagues corps endormis ! »
« Viens voir le silence qui tisse et détisse des ordres surhumains,
et les noms éphémères de tout ce qui descend vers la frange de l’horizon !
Oh ! les noms... – dans l’écume, sur le sable, à la lisière incertaine des mondes,
placides, fragiles, livrés à leur existence brève,
irresponsables et tendres, flottant, flottant sur l’ombre des âmes,
soupir du printemps sur l’arête soudaine des mois... »

Et le langage de la nuit était très ancien et précis.
Et j’allais avec elle sur les dunes, sur l’horizon,
parmi des moulins et des bateaux, entre mille infinis lits nocturnes.

Mes yeux portaient plus loin que jamais,
ils volaient, ni fermés ni ouverts,
indépendants de moi,
sans aucune pesanteur, dans l’obscurité,
et ils lisaient, lisaient, lisaient ce qui ne fut jamais écrit,
dans la plate solitude du temps, et sans aucun espoir,
- aucun.

    TROIS

La nuit n’est pas uniquement une noirceur sans marges ni directions.
Elle a sa clarté, ses sentiers, ses escaliers, ses échafaudages.
La grande armature de la nuit monte des plaines sous-marines
vers les vastes cieux étoilés,
en trapèzes, ponts, vertigineuses balustrades,
destinées à d’obscures contemplations et expectatives.

Alors, la nuit m’emportait... – dans de hautes maisons, dans de soudaines rues,
et derrière des rideaux tirés reposaient des têtes endormies,
et sous des lumières pâles gisaient des mains sans vie,
et il y avait des corps enlacés, et divers désirs immenses,
des doutes, des amours, des adieux,
- mais tout cela détaché et fluide,
flottant parmi objets et circonstances,
avec des grâces d’arc-en-ciel et d’acier.

Et les joueurs d’échecs poussaient des chevaux et des tours,
à l’extrémité de la nuit, entre des cimetières et des champs...
- mais tout cela involontaire et ténu –
tandis que les fleurs prenaient forme et que, dans le même mouvement,
les troupeaux produisaient du lait, de la laine,
éternellement du lait, de la laine, mugissement immense...
Tandis que les colimaçons roulaient dans le lent tourbillon des vagues
et que la feuille jaune se détachait, terminée : air, soupir, solitude.

Et la nuit m’emportait, parfois volant entre les murailles du brouillard,
parfois flottant sur les froids canaux, avec leurs barques silencieuses
ou bien foulant la fragile tourbe ou la boue amère.

Et de belles voix encore éveillées chantaient de temps en temps.
Et de jeunes lèvres risquaient des questions sur de douloureux sujets.
Les chiens aussi passaient avec leur ombre, lucides et pensifs.
Et des silhouettes irréelles, loin de leur domicile,
traversées par la nuit, par l’heure, par le destin,
flottaient avec nostalgie, attendant d’impossibles rencontres,
dans quels pays, mon Dieu, dans quels pays au-delà de la terre,
ou de l’imagination ?

La nuit m’emportait si haut
que les cartes du monde devenaient inutiles.
Les choses retombaient en enfance, et même au-delà,
revenues à une pureté totale, à une éminente clairvoyance.

Puis tout voulait être à nouveau. Non pas être ce qui était déjà, ni ce qui avait été,
- mais ce qui devait être, dans l’ordre de la vie immaculée.
Et tout ne pensait peut-être pas : mais doucement souffrait.

Je prenais la nuit dans mes bras et lui demandais d’autres signes, d’autres certitudes :
la nuit parle mille langages, en même temps.

Et elle passait sur la mer, vers sa profonde sépulture.
Et un grand frisson de larmes préparait des mots et des songes,
ces vastes nuages que les hommes recherchent...

    QUATRE

Dans quels longs abîmes dansaient-ils ? Dans quels longs salons
souriaient de beaux visages, si fous,
si malheureux, entre or et soie – travail de l’oubli ! –
et les cristaux et la lumière dressée et mobile
au bout des tiges de cire des fleurs à un seul pétale ?

Ah... les ombres glissantes paraissaient aussi vivantes
dans les miroirs limpides, impeccables, vides pour toujours,
brillants jardins fictifs, au portique trompeur.

La nuit m’entraînait et me disait :
« Mon chemin est toujours au-delà de tout :
que deviennent ces yeux, ces lèvres et ces mains scintillantes ?
Et ces danses, - où glissent-elles, que deviennent-elles si je déroule
mes demeures improvisées ?
Et ces ombres que feront-elles, si je ferme soudain
mes portes limpides ? »

La nuit m’élevait en elle comme l’eau docile d’un immense moulin.
Et elle roulait avec moi dans son monde silencieux et délivré.
Il n’y avait plus rien : seulement son pouvoir, sa grandeur, sa solitude.
Elle était déserte, absente, et en même temps pleine, et palpitante.
Elle faisait apparaître et disparaître des mirages, et rien n’en subsistait.
Et c’était une étrange surdité, pénétrante,
qui absorbait toutes les paroles et les musiques.

    CINQ

Clair visage inexplicable,
limpide visage de jadis,
presque d’eau, fait de sable,
et qui poursuis la nuit,
à travers les nuages et les dunes,
troublé dans l’air de l’automne,
douloureux et souriant,
libre d’amour et de sommeil...

Pauvre visage presque en cendre,
prenant dans le brouillard l’aspect,
d’une fleur de sel et de vent,
avec son profil étranger.

La mer du Nord est toute proche,
tenant les dunes dans ses bras.
Elle voit passer ce visage
oublieux de lui-même.
Entre les étoiles et la lune,
il passe dans la mer du Nord
un visage bref et sans dates,
court pétale de mort.

Il passe, avec les yeux fermés...
Interminables rideaux,
silence d’eau couvrant les fleurs,
traductions de choses divines...

    SIX

Et la nuit passait au-dessus des palais et des tours.
Mais tout était comme la plaine,
parce que la nuit vole si haut,
que les reliefs s’estompent.

Oui, la nuit pouvait être un immense bateau,
avec un vague sentiment de tristesse
bouillonnant à ses flancs comme une écume silencieuse et ténue
et ourlant son passage de soupirs.

Car tout n’était pas égal,
- ah ! comme on sentait que tout ne serait jamais égal,
malgré la distance, l’altitude, le silence...
- mais tout était équivalent,
équivalent et provisoire :
épée, musique, chiffre, larme, oiseau dans les dunes.

Et en même temps tout était beau,
et l’uniforme, l’apparente fraternité
pliait tout en un unanime sommeil.

Et les idées se brouillaient en des galeries obscures,
car la nuit passait de plus en plus loin,
et que tout ce qui prend du relief au soleil,
la nuit forme un univers submergé, brumeux et généralisé.

Et je me sentais à la proue de la nuit,
enrobée par ce souffle mélancolique,
effluve de l’humaine réflexion.

Et je désirais plonger, descendre dans ce torrent d’ombre,
ressentir ardemment les rêves,
dans chaque maison, dans chaque chambre,
entre les cheveux étalés sur de grands oreillers.

Mais le rêve est une propriété ineffable :
et l’on ne peut seulement sentir son exhalaison,
comme dans les fleurs, au moins, cette nouvelle, qu’est le parfum,
ou son mouvement,
comme, parfois, dans le petit mot que l’on avoue,
dans la petite larme qui, parfois, tombe.

Les rêves n’appartiennent même pas aux têtes endormies :
car la nuit les absorbe, les emporte, les annule,
ou les continue, les transfère, les confond,
- lointaine, haute, puissante, inhumaine.

    SEPT

Tout gît dilué, scintillant, dans un profond brouillard.
Rien cependant n’est perdu ni oublié, bien que si finement
éparpillé dans cette immensité.
Images et symboles se corrompent, mais l’essence résiste.
Des limonaires et des cloches résonnent, avec les hélices, cantiques et cris,
et tout est bruit, dans ces couloirs silencieux,
et la douce lumière habite mille recoins,
tout comme elle est passée d’innombrables fois
sur des yeux, une fleur, de la soie, une plaie, une pierre précieuse.
Et sur de diaphanes balances reposent diamant et pollen,
bibliothèques et arsenaux.

Tout est plongé dans cette brume :
le brouhaha historique, la victime et le bourreau,
la mélodie de la sirène nordique, à la proue du bateau de conquête,
plumes et arquebuses,
le pas du fantôme sur des escaliers aériens,
fléau et soupir, acte et remords...

Tout gravite dans la structure de la nuit,
dans ses archives superposées.

La trace exiguë des mouettes va aussi loin
que l’odeur des plages et que la grandiose rumeur des machines.
Anatomie raréfiée du paysage,
où chaque élément devient translucide,
fragile et tendu comme l’aile des insectes et le flexion de la pensée.

D’étroites passerelles traversent la nuit :
Fines lignes reliant les points éloignés.

Mais qui retient la nuit, ainsi chargée de ces décombres,
qui au soleil ont l’aspect de grands biens indispensables ?

Homme, chose, fait, rêve,
tout est pareil, de la substance du sable,
tout est murs de sable, comme sur ce sol inventé :
mer vaincue, faune exténuée, flore dispersée,
tout correspond :
le colimaçon émet dans la vague le même bruit que la lèvre de l’amour
et que la voix de l’agonie.
Les embrassades, les nuages, l’automne dans le parc,
font tous le même geste , grave, précaire, fluide.

Ah, et les blonds cheveux soyeux, et la paupière lumineuse,
et les racines obstinées, et l’ossature terne,
et ma veille éblouie,
et la mémoire de l’univers,
tout est là, avec aussi la lumière diffuse qui entoure la lune,
avec aussi la lueur du pôle et les eaux hybrides,
et tout s’effeuille en des lieux invisibles
dans un autre royaume que seule atteint la nuit.

    HUIT

Qui a le courage de demander, dans la nuit immense ?
Et que valent les arbres, les maisons, la pluie, le petit passant ?

Que vaut la pensée humaine,
courageuse et vaincue,
dans la turbulence des heures ?

Que valent la conversation à peine murmurée,
la stérile tendresse, les délicats adieux ?

Que valent les paupières du timide espoir,
humectées de sel tremblant ?

Le sang et la larme sont de petits cristaux subtils,
dans le profond diagramme.
Et l’homme si inutilement pensant et pensé
n’a que la tristesse pour le distinguer.

Car il y avait dans ces humides parages
des animaux endormis, avec le même mystère humain :
grands comme des portiques, doux comme du velours,
mais sans souvenirs historiques,
sans engagements à vivre.

Grands animaux sans passé, sans antécédents,
purs et limpides,
avec seulement le poids du travail dans leurs robustes flancs
et des notions d’eau et de printemps dans leurs tranquilles naseaux
et dans la longue soie de leurs crinières ébouriffées.

Mais la nuit se désagrégeait à l’orient,
pleine de fleurs jaunes et rouges.
Et les chevaux dressaient, entre mille rêves vacillants,
ils dressaient en l’air leur vigoureuse tête,
et commençaient à tirer les immenses roues du jour.

Ah ! le réveil des animaux dans la vaste campagne !
Cette chute du sommeil, cette continuation de la vie !
Le chemin qui va des pâturages éthérés de la nuit
au grand jour de la vassalité humaine.

    NEUF

J’ai vu tes vêtements briller
sans aucune lueur du jour.
On a dit que c’était la lumière de fleurs,
de fleurs de vastes champs,
dont on ne savait pas les noms...

J’ai vu ton visage lumineux
se pencher sur mon silence.
Mais on a dit que c’était la lune,
des prismes d’étoiles, du sable,
une phosphorescence marine...

Et ta voix me parlait
en grands éclats tumultueux.
Mais on disait que c’était le vent,
l’automne dans les ramages,
la langue aveugle des buccins...

Et j’ai marché avec toi dans mon âme
comme les rois portent des couronnes,
comme les mères portent leurs enfants
et l’océan son mouvement
et la forêt ses parfums.

On disait que c’était la nuit,
le mirage des désirs...

Je dois baigner mes yeux
sur les mille rivages de l’aurore,
pour voir si je te vois encore.

    DIX

Il y a beaucoup plus de nuit que sur les tours et les ponts :
et depuis elle on voit différemment les longues prairies successives,
la vase, les coquilles, les fragiles squelettes,
la vague hérissée, paralysée en humus,
séparée pour toujours de la mer.

Pour qui travaille le flamboyant univers ?
Pour qui se fatigue demain le corps de l’homme transitoire ?
A qui pensons-nous, pendant la surhumaine nuit,
dans une ville aussi lointaine, à une heure sans personne ?
Pour qui espérons-nous la répétition du jour,
et pour qui s’accomplissent ces métamorphoses,
toutes les métamorphoses,
au fond de la mer et sur la rose des vents,
dans une veille humaine et dans l’autre veille,
qui est toujours la même, sans jour, sans nuit,
inconnue et évidente ?

Je prenais dans mes bras la nuit limpide,
la nuit exacte qui apparaît et disparaît à sa juste limite,
la nuit qui existe et n’existe pas,
et je murmurais à ses oreilles successives :
« Je ne veux plus dormir, plus jamais... jamais... » Et la nuit
emportait mes yeux et ma pensée,
elle les emportait parmi les étoiles antiques,
parmi les étoiles naissantes,
- et elles étaient bien plus petites
que les lettres de mon cri.

    ONZE

Mais le menu sable chemine de son pas invisible :
à partir du verre cassé, de la montagne submergée,
le sable se gonfle et forme des paysages, des champs, des pays...

Mais le schéma du poisson et de la coquille modèle ses dessins
et l’anémone se déploie,
et le fond de la mer imite l’inaccessible firmament.

Mais la fleur grandit, proche,
pleine de subtiles arabesques.

Mais l’eau palpite entre le pôle et le canal,
vive et sans nom et sans heure.

Mais le rêve s’étend comme les immenses filets,
au vent du monde, dans l’écume du temps,
et toutes les métamorphoses déchues s’agitent là,
glissant entre les mailles très exiguës
qui séparent ce qui est vie de ce qui est mort.

Et la main qui dort est burinée par la nuit,
par la nuit qui connaît toutes les veines,
qui protège et détruit pétale et cartilage,
la petite larve aquatique
et le taureau qui se rue contre le lever du jour...

Car le jour vient.
Et notre voix est un son qui se prolonge
à travers la nuit.
Un son qui n’a de sens que dans la nuit.
Un son qui apprend, dans la nuit,
à être l’absolu silence.

    DOUZE

Sans pourriture aucune, un noyé flottera
dans les canaux d’Amsterdam.

Ceux qui passeront entre les maisons triangulaires,
ceux qui descendront les brefs escaliers,
ceux qui monteront à bord des barques oscillantes,
répèteront, perplexes :
« Il y a un clair noyé dans les canaux d’Amsterdam. »

C’est un pâle noyé, sans paroles ni dates,
sans crime ni suicide, un lyrique noyé,
aux yeux de cristal remplis d’horizons mobiles,
et aux lointaines oreilles se rappelant dans l’eau tremblante
des orgues de Barbarie grands comme des autels,
de joyeux carillons,
de paisibles champs fleuris.

Sans pourriture aucune,
un noyé flottera dans les canaux d’Amsterdam.

Les lapidaires peuvent venir regarder ses yeux :
on n’a jamais vu si belle émeraude, ni diamant, ni bienheureux saphir.
Mais nul ne peut toucher à ces yeux transparents,
qui deviendraient visqueux et opaques, sans le repos
où ils scintillent, enchantés.

Les prophètes pourront venir regarder ses beaux vêtements :
brodés de mille dessins communs et inconnus.
Ah ! ses vêtements d’eau, avec tous les mirages du monde,
ses vêtements ténus comme il n’y en a ni dans les musées, ni dans les palais,
ni dans les synagogues...

Mais on ne peut toucher cet or, cet argent,
cette resplendissante soie :
car on ne trouverait que vase, sable, boue.
Car c’est la mort qui l’habille de cette façon glorieuse,
la mort qui le tient dans ses bras comme un beau défunt sacré.

Sans pourriture aucune, un noyé flottera
dans les canaux d’Amsterdam.

Il flottera pour toujours, et quiconque peut venir le voir,
avec ses cheveux en étoile,
avec ses douces mains flottantes, libres de tout,
sans aucune possession,
avec sa bouche au sourire automnal, couleur de libellule,
et son cœur lumineux et immobile, fixe comme un grand diamant,
changeant comme la nacre, selon l’inclination des heures.

Tout le monde le verra, sous la lune, sous la pluie, dans l’obscurité,
naviguer le long des canaux, tout de clarté légère.

Sans pourriture aucune,
un noyé flottera dans les canaux d’Amsterdam.

Et je sais quand il est tombé dans ces eaux funestes.
J’ai vu quand il a commencé à flotter sur ces chemins liquides.
Je me suis penchée sur lui, du bord de la nuit,
et je lui ai parlé sans mots ni cris,
et il me répondait aussi doucement,
que c’était un bonheur que cette radicale noyade,
et tout est resté pour toujours en un divin acquiescement
entre la nuit, mon âme et les eaux.

Sans pourriture aucune, un noyé flottera
dans les canaux d’Amsterdam.

Il n’est rien que l’on puisse chanter en sa mémoire :
le moindre soupir serait nuage, sur cette limpidité.

(Doze noturnos da Holanda, de Cecília Meireles, 1952, ici traduits par Philippe Billé. La traduction du Nocturne 2 avait déjà paru dans la Lettre documentaire XV en octobre 1992, celle du Nocturne 3 dans la Lettre documentaire 57 en novembre 1993, et celle du Nocturne 1 dans la Lettre documentaire 96 en octobre 1994)

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