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Journal documentaire
24 novembre 2007

Lettre documentaire 407

COMMENT ILS TUENT LES ENNEMIS QU’ILS CAPTURENT, ET LES MANGENT

par Cabeza de Vaca

Quelque temps après l’arrivée du gouverneur Cabeza de Vaca à ladite ville d’Asunción, les habitants et les conquérants qu’il y trouva lui adressèrent des plaintes très graves contre les officiers de Sa Majesté. Il fit donc rassembler tous les Indiens sujets du roi, et leur dit, en présence des religieux et des prêtres, que Sa Majesté l’avait envoyé pour les protéger et leur expliquer qu’ils devaient s’appliquer à la connaissance de Dieu, se faire chrétiens par l’enseignement des religieux et des prêtres, qui étaient venus pour cela comme des ministres de Dieu, et se soumettre au Roi ; qu’en agissant ainsi, ils seraient mieux traités et protégés plus efficacement que jamais ils ne l’avaient été. Il leur défendit de continuer à manger de la chair humaine, car c’était un grand péché et une grave offense qu’ils faisaient à Dieu. Les religieux et les prêtres dirent de même. Et, afin de les satisfaire, il leur fit distribuer de nombreux présents, des chemises, des vêtements, des bonnets et autres objets, dont ils se réjouirent. Ces Guaranis parlent une langue comprise de toutes les autres nations de la province. Lorsqu’ils sont en guerre, ils mangent la chair des Indiens leurs ennemis ; s’ils en capturent au cours des combats, ils conduisent les prisonniers à leurs villages, se divertissent avec eux ; ils dansent, chantent et célèbrent des fêtes jusqu’à ce que le captif soit bien en chair ; car, dès qu’ils se sont emparés de lui, ils l’engraissent et lui fournissent autant d’aliments qu’il en désire. Ils lui livrent leurs propres femmes et leurs filles, afin qu’il prenne ses ébats avec elles. Ce sont ces Indiennes elles-mêmes, celles qui sont le plus en considération, qui ont soin de le nourrir. Elles le font coucher avec elles, et le parent de diverses manières, suivant leur usage, avec beaucoup de plumes et des perles blanches, faites avec des os et des pierres qu’ils prisent extrêmement. Quand le prisonnier a pris de l’embonpoint, les plaisirs, les danses et les chants redoublent. Alors les hommes se rassemblent, ils arrangent et parent trois petits garçons de six ou sept ans, et leur mettent dans la main une petite hache de cuivre. Le plus brave de la peuplade saisit une épée de bois, nommée macana, puis on conduit le captif sur une place, où on le fait danser pendant une heure. Quand il a fini de danser, le bourreau s’avance, et lui assène des deux mains un coup de son épée dans les reins, et un autre dans les jambes pour le faire tomber. Il arrive quelquefois que six coups appliqués à la tête ne suffisent à le terrasser. La dureté de leur crâne est surprenante, car l’épée avec laquelle on le frappe à deux mains est d’un bois noir dur et pesant, si bien qu’il suffirait à un homme vigoureux pour assommer un boeuf d’un seul coup, mais il en faut un grand nombre pour abattre ce genre d’homme. Aussitôt qu’on y est parvenu, les enfants arrivent avec leurs petites haches. Le plus grand d’entre eux, ou le fils du chef, frappe le premier sur la tête du captif, puis les autres l’imitent à coups redoublés jusqu’à ce que le sang jaillisse. Pendant ce temps les adultes les exhortent en criant à être braves, à s’exercer, à avoir le courage de tuer leurs ennemis et de faire la guerre. Ils leur disent de se venger et de se souvenir que ce prisonnier a tué des leurs. Après sa mort, celui qui lui a donné le premier coup prend son nom, qu’il porte dorénavant comme un témoignage de sa vaillance. Puis les vieilles femmes dépècent le cadavre, font cuire les chairs, les partagent, et on les mange. Ils regardent cette nourriture comme un aliment excellent. Ensuite ils recommencent leurs danses et leurs jeux, qui durent encore plusieurs jours. Ils disent que leur ennemi, le meurtrier de leurs parents, est mort par leurs mains ; que maintenant ceux-ci reposeront en paix, et se réjouiront de cette vengeance.

«De cómo matan a sus enemigos que captivan, y se los comen», chapitre XVI des Comentarios d’Alvar Núñez Cabeza de Vaca, rédigés par son secrétaire Pero Hernández (Valladolid, 1555). Traduction française de Henri Ternaux-Compans (Paris, 1837) ici revue par Philippe Billé (2007). Les mœurs évoquées étaient celles des Indiens d’alors dans l’actuel Paraguay.

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