Lettre documentaire 403
MOUCHE SUR UN PARE-BRISE, par Jim Goad
Vous filez sur l’autoroute, un jour où il fait si chaud que vous voyez l’asphalte vibrer en faisant comme des vagues. Vous êtes bien au frais dans l’habitacle climatisé. Des insectes, si mécaniquement idiots, mais libres, viennent s’écraser tout droit sur le pare-brise. Leur vie insignifiante prend fin instantanément, dans un choc inaudible. Tout ce qui reste de leur existence est un petit amas de sang et de viscères. Vous ne ressentez rien, vous continuez de rouler.
Vous êtes plus proche de la divinité que vous ne le serez jamais. Une giclée de lave-vitre, quelques coups d’essuie-glace et tout a disparu.
Est-ce que la bestiole laide et sans valeur possède une conscience rudimentaire qui éprouve une terreur existentielle au moment de l’impact? Je suis sûr que les humains ressentent une intense épouvante au dernier instant, quand vous réalisez que le reste de l’éternité va continuer de s’arranger très bien sans vous. Ma conception de l’enfer serait que ce moment s’étire indéfiniment…, que l’on ne parvienne jamais à la paix ultime de la mort, que l’on reste pris dans ces limbes, tenaillé à jamais par la fausse promesse.
En un sens, telle est la condition de base du fait d’être vivant. Nous savons tous que le pare-brise est quelque part sur l’autoroute et qu’il fonce vers nous.
(«Bug on a windshield», par Jim Goad, 28 juillet 2003, ici traduit par Philippe Billé)