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Journal documentaire
28 août 2007

Le Brésil revisité - (4/4 : Politique)

Je n’aime plus les voyages et je me demandais si celui-ci me ferait changer d’avis mais ce ne fut pas le cas. C’est en partie une question d’âge, sans doute. Déjà qu’en restant peinard dans ma tanière, je sens que rien n’est assuré, a fortiori ma carcasse n’est plus faite pour aller gigoter sans dommage à l’autre bout du monde. Il faut dire qu’en l’occurrence le destin m’a servi, toujours sympa, j’ai écopé en moyenne d’une crève par semaine.

Ce voyage ne nous a pas non plus épargné les embarras typiques du voyage d’aujourd’hui. Dès le départ, à Mérignac, il y avait une grève surprise du personnel de sécurité, qui nous a valu de poireauter et de piétiner plus que prévu, et de partir en retard mais de partir quand même, tout le monde n’a pas eu cette chance ce jour-là. Le grand avantage de l’avion, outre sa rapidité, c’est que les emmerdeurs ne peuvent pas y accéder aussi facilement qu’au bus ou au train. A part ça la compagnie n’est pas forcément agréable et on y voyage entassé comme du bétail. Du bétail moderne peut-être, mais du bétail quand même. Pendant notre séjour à Rio, un avion s’écrasa sur un aéroport de São Paulo. La désorganisation qui s’ensuivit dans tout le pays était encore telle, lorsque nous repartîmes trois jours plus tard vers le Nord-Est, que nous décollâmes avec cinq heures de retard, après sept heures interminables et épuisantes passées sans information, sans assistance, sans égards, sans excuses, sans dédommagement d’aucune sorte. Enfin la cerise sur le gâteau fut, au retour à Mérignac, la disparition de nos valises, qui nous furent tout de même livrées deux jours plus tard.

La résidence où nous étions à Fortaleza était une de ces nombreuses habitations collectives fortifiées, encloses de murs, de grillages et de barbelés, avec un poste de guet où se relaient des surveillants jour et nuit. Les problèmes de sécurité conduisent ceux qui en ont les moyens à mener ce genre de vie, qui a ses avantages et ses inconvénients. De ce fait, curieusement, ce sont ici les gens plutôt riches qui vivent dans des tours, au contraire de chez nous. Les mêmes roulent dans des voitures aux vitres noires et dotées de la clim, ce qui présente aussi des avantages et des inconvénients.

Il y avait à la maison une petite domestique récemment arrivée de la campagne, Inês, très efficace, très dévouée, très bonne cuisinière et très sympathique. Il est fréquent d’avoir des employés dans ce pays, et elle s’étonnait quand nous lui expliquions que nous n’en avions pas, chez nous en France. A Rio, Antonio avait trouvé la perle rare en la personne d’Adeilton, qui était tout à la fois son valet, son secrétaire, son chauffeur, son cuisinier, et son informaticien. Un homme de confiance.

Souvent des mendiants venaient nous pomper l’air, surtout vers la plage, avec plus ou moins d’insistance. Nous leur donnions parfois, parfois non, selon que nous avions l’impression que notre geste servait vraiment à quelque chose. Nous offrîmes sans hésiter un plat aux enfants qui nous le demandaient. Quand un homme ou une femme essayait de nous apitoyer en affirmant, vrai ou faux, qu’il ou elle avait des enfants à nourrir, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il ou elle eût été bien avisé de songer, au moment de faire des lardons, qu’ils allaient ensuite vouloir manger. Peu de gens mendiaient directement, la plupart proposaient un petit service ou une petite marchandise, des amuse-gueule plus ou moins éventés, parfois des gadgets en plastique parfaitement inutiles et hideux. Ne portant jamais de lunettes noires ni de casquette, j’avais droit aux propositions systématiques mais vaines de tous les malheureux qui en vendaient. Je craquais fatalement, quand un cireur de chaussures, après que j’eusse refusé trois fois qu’il cire mes sandales, se décourageait et me demandait simplement de lui donner une pièce. Là, que voulez-vous…

Nous fûmes confrontés à la misère non seulement par les sollicitations des mendiants et demi-mendiants, plus ou moins nombreux selon les endroits, mais aussi par la vue, ici et là, de corps endormis à même le trottoir. A Rio c’étaient parfois des corps d’enfants. Un détail me frappait souvent chez les misérables, c’était leur épaisseur de crasse. Comme aucun d’eux ne vivait loin de la mer, ils pouvaient facilement se nettoyer, le laisser-aller traduisait leur désespoir. Les violentes odeurs de pisse, qui se dégageaient soudain de tel ou tel recoin urbain, complétaient ce tableau social peu reluisant.

Le spectacle du dénuement n’était pas toujours sordide, souvent les jeunes démunis semblaient joviaux et pleins d’énergie. Le plus déprimant était de ne pas entrevoir d’issue à leur enlisement. Visiblement quelques associations s’emploient à aider les malheureux, j’ai remarqué par exemple un petit marché d’artisanat, le soir sur une plage de Fortaleza, où tous les vendeurs, hommes et femmes, portaient un T-shirt mentionnant certain Projeto Movimento das Mulheres Empreendedoras («Projet mouvement des femmes entreprenantes»). Ce charabia social n’est pas très encourageant mais qui sait…

Je suppose que c’est impossible à évaluer, mais je me suis souvent demandé quelle pouvait être la somme totale du pèse passant chaque jour de la poche des «nantis» dans la main des mendiants d’un pays. Et ce qu’elle devient. Aurait-on des surprises, si l’on pouvait savoir ?

Un soir, sur la plage de Forta, nous assistâmes à une démonstration de capoeira, que donnaient une trentaine de jeunes gens, d’une association. C’est une danse d’origine africaine, qui mime un combat entre deux personnes, ou si l’on veut c’est une antique technique de combat, qui s’est stylisée en une sorte de danse culturelle. Les adversaires s’affrontaient deux par deux, chacun à leur tour, exécutant d’habiles pirouettes au cours desquelles les pieds de l’un passaient tout près du visage de l’autre, au son d’une musique primitive et lancinante. C’est assez fascinant à regarder, pendant quelques minutes, après quoi ça devient un peu gonflant. Au bout d’un moment je me mis à espérer secrètement que l’un des officiants allait faire un faux mouvement et envoyer un grand pain dans la gueule de son partenaire, ce qui eût été plus divertissant, mais ils étaient si adroits que rien de cela ne se produisit.

J’avais gardé de mon premier voyage l’image d’une population très métissée, mais je remarquai maintenant seulement la part importante de l’élément indien dans ce melting pot. La population indienne pure ne représente sans doute plus qu’une part mineure de la nation, mais un fantôme indien survit massivement, à différents degrés de mélange. Le fantôme des Indiens conduisait le bus, il nous servait à boire et à manger. Parfois le fantôme des Indiens était friqué, il prenait l’avion pour aller assister à des compétitions de sport, avec une écharpe en couleurs comme n’importe quel gros beauf.

Pour des raisons de commodité trop longues à expliquer, j’emportai avec moi pour liquide une liasse de mille dollars que je changeai à mesure. Je fus assez modéré pour en rapporter. La vie était plutôt bon marché, mais tout ce dont nous connaissions le prix coûtait au moins deux fois plus cher au Fleuve qu’à la Forteresse. Autant nos hôtes furent tous d’une bienveillance exemplaire et sans faille, autant la race vorace des chauffeurs et des serveurs s’employait sans cesse à nous arnaquer et, malgré le qui-vive de chaque instant, elle y parvenait assez souvent.

Il y avait beaucoup de commerces spécialisés, surtout dans la restauration : pizzarias, tapiocarias, cachaçarias, sorveterias. Les borracharias doivent intriguer les voyageurs hispanophones, mais le borracho (saoul) espagnol est bêbado en portugais, la borracha c’est le caoutchouc, et la borracharia le magasin ou l’atelier de réparation des pneus.

Nous bûmes chaque jour de cette sorte de rhum brésilien appelé cachaça. Nous en prenions principalement dans le petit cocktail nommé caipirinha, soit «paysannette», où l’on ajoute à l’alcool du citron vert, du sucre en poudre et de la glace pilée. A Rio, j’ai remarqué qu’Antonio disait une caipira, sans le diminutif. La proportion de la cachaça et de la glace variait considérablement selon que l’on était servi chez les amis ou dans les bars. On pouvait demander que la caipirinha soit servie sans sucre, en le remplaçant par de l’édulcorant, ou par rien, comme j’en pris l’habitude. La cachaça était vendue d’ordinaire en bouteilles d’un litre ou d’un demi-litre, ou en petits flacons plats que certains surnommaient celular, du mot servant à désigner le téléphone portable.

Nous bûmes de la bière Bohemia, de la bière Brahma, de la bière Skol, de la bière Antártica. Nous bûmes quelques vins du sud brésilien, des blancs secs et des rouges, la plupart bons, et d’un goût très européen. Nous bûmes de nombreux jus de fruits, cajou, maracujá, goyave, tantôt artificiellement sucrés, tantôt plus rudes et naturels. Il y avait des restaurants où l’on se servait à volonté dans différents plats, et l’on payait son assiette «a quilo», soit au poids d’aliments qu’on y avait mis. Il y avait sur toutes les tables, dans un petit réceptacle métallique, du papier absorbant qui n’absorbait pas, mais avec lequel on se débrouillait.

A Fortaleza, plusieurs bouquinistes vendaient principalement ou uniquement des livres scolaires. A Rio, Antonio me conseilla la librairie d’occasion Beta de Aquarius, en effet un magasin bien fourni, rue Buarque de Macedo. Je n’y ai rien acheté, finalement, mais j’ai eu la surprise de tomber sur un stock de livres de Stewart Home traduits en portugais, dont le recueil de textes sur A greve da arte, où je retrouvai deux ou trois de mes pages de jadis. Sur le moment je n’ai pas eu l’idée de demander pourquoi cette bouquinerie portait ce nom. Je vois dans un guide d’astronomie que l’étoile bêta de la constellation du Verseau s’appelle Sadalsuud, ce qui ne m’éclaire pas plus.

A Rio dans un café, j’ai vu un septuagénaire accoudé au bar en slip, sans que sa tenue paraisse étonner personne. A Ipanema dans la rue, une bourge portait un T-shirt de Ben avec l’inscription «Je suis unique au monde». Mes deux seules rencontres littéraires de ce voyage furent à Rio mon ami Antonio, qui nous raconta comment il était devenu le plus jeune académicien du pays, et à Fortaleza la statue en bronze de Rachel de Queiroz, assise sur un banc de la place des Lions.

Il arrivait qu’une maison soit entièrement peinte en rouge vif ou en orange. Les maisons du Seigneur non plus n’étaient pas toujours d’un goût très sûr. Peu d’entre elles étaient décorées de vitraux, mais la cathédrale de Fortaleza en avait plus que je n’en ai vu dans aucune autre église.

Partir à l’étranger à l’époque où nous l’avons fait présente l’intérêt que l’on échappe non seulement au 14 juillet, mais aussi au Tour de France. Hélas, cela ne garantit pas que l’on ne va pas tomber en plein jeux panaméricains d’athlétisme, qui se déroulaient à Rio.

Voyager, ça n’est jamais qu’aller promener sous d’autres cieux la cage mentale dont on ne sort guère. You can’t run away from yourself, chantait Bob. Mais ça fait un petit courant d’air entre  les barreaux, pas désagréable. Le dépaysement pour moi est d’abord une expérience linguistique, c’est de sentir qu’autour de moi les gens, les haut-parleurs, les enseignes parlent soudain une autre langue que la mienne. L’expérience est double dans un pays, où la langue coloniale est elle-même colonisée, en sens inverse, par les cohortes du vocabulaire indigène. Des milliers de mots tupis, principalement des noms d’animaux et de plantes, ainsi que des noms de lieux (qui sont eux-mêmes principalement des noms d’animaux et de plantes) hantent le portugais du Brésil. En général, il me plaisaient.

Au cours de nos déplacements, j’ai constaté un zèle général à délimiter les parterres. Les plantations, sur les trottoirs de Copacabana, étaient entourées d’une bordure de tubes métalliques placés près du sol. Dans la cour de la pousada, des lignes de pavés cernaient avec soin les petits bassins et massifs. Dans les rues des villes et des villages, il n’y avait pratiquement pas d’arbre dont le pied ne soit encadré d’un cercle ou d’un carré de barres de ciment, ou de pierre, parfois disloqué mais bien présent. Ca me plaisait, aussi.

Ca n’est pas inintéressant, les pays étrangers. Mais dame, vient un moment où il faut revenir dans son jardin, pour s’occuper de ses oignons.

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Commentaires
M
Au Brésil les jours sont sans intérêt, mais la nuit parfois on rencontre des musiciens hagards. Elle me plait bien aussi votre petite musique, nuitamment. Je reviendrai.
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S
J'ai pourtant le souvenir d'avoir bu des cachaças nettement plus fortes que le rhum, mais il faut dire que les verres étaient servis dans une station d'essence à la sortie de Milagres, ce qui peut laisser supposer que j'avalais en fait du fuel dilué.
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P
Quelques éléments de réponse par là:<br /> http://www.google.com/search?client=safari&rls=fr&q=cachaça+rhum&ie=UTF-8&oe=UTF-8<br /> Le rhum est en moyenne de 10° + fort que la cachaça, mais ils sont aussi faits un peu différemment. En tout cas, le goût n'est pas le même.
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P
Merci de vos commentaires, messieurs.<br /> Constantin, au risque de vous épouvanter, je dois avouer que je ne déteste pas les diapos. Mais rassurez-vous, je n'en fais plus.<br /> Dans un courrier séparé, monsieur Hermans me fait remarquer qu'en français, la caipirinha s'appelle le punch. C'est un peu ça, en effet, et ça le serait tout à fait, si la cachaça était tout à fait du rhum, mais à vrai dire je ne sais quelle est au juste la différence, s'il y en a.
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D
Pas tellement d'accord avec le commentaire qui précède le mien : il me semble qu'on voyage TOUJOURS idiot. Je veux dire : pourquoi voyage-t-on ? En tout cas, votre voyage à vous me semble contredire l'horreur que j'en ai, personnellement. Je reveindrai vous lire.
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