Lettre documentaire 391
L’ANTI-LAZARE
Par Nicanor Parra
Mort ne te relève pas de la tombe
que gagnerais-tu à ressusciter
un exploit
et après
la routine de toujours
ça ne te va pas vieux ça ne te va pas
l’orgueil le sang l’avarice
la tyrannie du désir vénérien
les douleurs que cause la femme
l’énigme du temps
les caprices de l’espace
réfléchis mort réfléchis
tu ne te rappelles pas comment c’était ?
à la moindre difficulté tu explosais
en injures à droite et à gauche
tout te dérangeait
tu ne supportais même plus
la compagnie de ton ombre
mauvaise mémoire vieux mauvaise mémoire !
ton cœur n’était qu’un amas de décombres
- je cite tes propres écrits –
et de ton âme rien ne restait
pourquoi donc revenir à l’enfer de Dante ?
pour que la comédie se répète ?
quelle divine comédie, quel intérêt ?
miroirs aux alouettes – mirages
appât pour chasser les souris gourmandes
ça oui ce serait une belle idiotie
tu es heureux cadavre tu es heureux
dans ton sépulcre rien ne te manque
moque-toi des poissons colorés
allo, allo, tu m’écoutes ?
qui ne préfèrerait
l’amour de la terre
aux caresses d’une obscure prostituée
personne qui ait tous ses sens
sauf s’il a un pacte avec le diable
continue de dormir bonhomme continue de dormir
sans les coups d’aiguillon du doute
seigneur et maître de ton propre cercueil
dans la tranquillité de la parfaite nuit
complètement libre
comme si tu n’avais jamais été éveillé
ne ressuscite sous aucun prétexte
tu n’as pas de raison de t’énerver
comme a dit le poète
tu as toute la mort devant toi
«El anti-Lázaro», poème de Hojas de Parra, 1985, ici traduit par Philippe Billé.