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Journal documentaire
12 avril 2007

Lettre documentaire 377

(UNE LETTRE PERDUE, Par Mário da Silva Brito)


A l’époque où je préparais le recueil de poèmes, qui fut publié après sa mort sous le titre Três romances da idade urbana (Trois romans de l’ère urbaine), Mário de Andrade m’écrivit une brève lettre, avec en annexe une liste de titres qu’il proposait pour le livre.

Cette petite lettre disparut de mes archives. Elle se volatilisa. Je la recherchai pendant des jours, des mois, puis je renonçai à la localiser. Elle se trouvait quelque part chez moi, certainement, mais où?

Les années passèrent, ma vie traversa des bouleversements, je quittai São Paulo pour Rio de Janeiro, bien des choses se produisirent, mais je n’oubliai jamais la perte de ce document si cher à mes yeux, qui représentait une preuve supplémentaire de la bonne entente que nous avions connue, et témoignait sans ambiguïté de l’intérêt de cet écrivain pour le travail intellectuel de ses amis.

A l’occasion du 25ème anniversaire de sa mort, animé par la nostalgie et par le désir de lui rendre hommage, j’écrivis un long article que le journal O Estado de São Paulo publia dans son supplément littéraire sous le titre «Evocation de Mário de Andrade». Je fouillai alors de nouveau dans les porte-documents et les enveloppes où je conservais des lettres de lui, des témoignages d’autres personnes à son sujet, des notes personnelles prises après des rencontres au cours desquelles il avait tenu des propos intéressants ou eu quelque geste touchant. Je nourrissais toujours l’espoir de retrouver ce vieux papier, peut-être involontairement mal rangé. Mais mes efforts restèrent vains. La lettre, pour moi précieuse, était irrémédiablement perdue.

Lorsque je préparai mon Diário intemporal, pour les éditions Civilização Brasileira, j’y reproduisis, sous l’entrée n° 371, l’article publié par le grand quotidien pauliste. Avant de remettre mon manuscrit, j’engageai de nouveau des recherches dans mes archives, à la poursuite de cette correspondance perdue. Je ne le trouvai pas.

Or voilà maintenant que, m’étant lancé dans une opération de désherbage et de reclassement de ma bibliothèque – (combien possédons-nous de livres, que nous ne relirons plus !) – je viens de tomber sur un volume des Pièces déplaisantes de Bernard Shaw, dans lequel se tenait pliée en quatre, bien cachée, la lettre que j’avais cherchée infatigablement mais sans succès pendant cinq lustres. Qui pouvait l’avoir placée là, comme un marque-page? Moi-même? J’en doute, car j’ai l’habitude d’archiver ma correspondance immédiatement. Quelque domestique zélée, qui voyant ce papier volant sur mon bureau, aura jugé plus sûr de le placer dans le livre? Quelqu’un de chez moi qui, à cette époque, lisait Bernard Shaw? Je ne sais : tout cela est pure conjecture. Ce qui compte, c’est que j’aie retrouvé cette lettre, bien que la liste de titres suggérés, sur un papier à part, soit toujours absente : elle n’a pas réapparu. Du coup j’ai feuilleté, page après page, toutes les œuvres du dramaturge irlandais, dans l’espoir d’une bonne surprise, mais ce ne fut qu’une tentative infructueuse. Je vais maintenant en faire de même avec le reste de mes livres. Peut-être découvrirai-je dans l’un d’eux ce que je cherche, et me délivrerai-je ainsi d’une si longue quête. Ou bien j’y renoncerai définitivement.

Je vais reproduire ci-dessous cette lettre, à vrai dire un simple billet, de sorte que si par malchance, je l’égare à nouveau, le texte en sera préservé.

Elle est sans date mais fut écrite peu de temps avant sa mort, probablement en décembre 1944 ou dans les premiers jours de janvier 1945, et elle me fut remise en main propre par l’auteur lui-même, lors d’une de ses visites aux éditions Martins, où je travaillais alors, précisément à la préparation des différents volumes de ses œuvres complètes. Il l’avait écrite pour le cas où il ne m’aurait pas trouvé à mon bureau, car à l’époque je devais souvent m’absenter pour aller assurer le suivi de nos productions dans les imprimeries.

Voici donc, vingt-cinq ans après sa disparition, les paroles de mon ami mort, que je relis aujourd’hui avec une grande émotion.

«Cher Mário,

je n’ai rien trouvé de convainquant, mais tu pourras constater, sur le papier en annexe, que j’ai sérieusement cherché. J’ai relu le livre entier. Je continue de préférer le chant maritime central, mais il se confirme aussi que le «Respectable public» est ton [?] chef d’œuvre dans ce livre. C’est ce que tu as fait de plus fort, de plus marquant.

Décidément, le simple intitulé Trois romans me paraît de plus en plus insuffisant. J’ai cherché dans différentes dimensions du livre : son urbanisme si caractéristique, le rappel poétique de l’enfance, etc. Aussi le ton très personnel de cette poésie, cette manière presque prosaïque de dire, de raconter, exempte de vocabulaire « poétique » qui sonne si souvent faux, de sorte qu’on a souvent l’impression d’avoir affaire à de la prose. Ce n’est pas du tout de la prose (peut-être qu’un critique viendra pinailler sur ce point…) mais il y a de fait un effet de prose très curieux. On oublie à moitié qu’on lit de la poésie, mais quand on a fini, on se sent imprégné de poésie. J’ai même songé à un titre qui évoquerait cet effet particulier, comme La poésie vient après, ou quelque chose comme ça, mais je n’ai pas trouvé. En tout cas, je pense que Trois romans, tout seul, c’est trop court. Vois si tu peux trouver un qualificatif qui aille bien. Ciao, je t’embrasse.

Mario

A propos des lettres de Mário de Andrade, quelqu’un me faisait remarquer qu’elles lui semblaient négligées. J’ai informé ce critique, qu’il aimait les écrire au fil de la plume, sans trop se préoccuper de la forme ou du style, par exemple sans se soucier d’éviter les répétitions ou de bien faire attention à l’orthographe. Un jour, il m’a dit :

- Les lettres aux amis, on les écrit comme si on était en pyjama.

Fragment n° 35 de Conversa vai, conversa vem, de Mário da Silva Brito (Rio de Janeiro, 1974). Traduction française inédite, par Philippe Billé.

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