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Journal documentaire
26 octobre 2006

Lettre documentaire 365

Onzième nouvelle de la deuxième journée de l' HEPTAMERON (1559) de Marguerite de Navarre, ici transcrite et modernisée par Danielle Berton.

Dans la maison de madame de Trimoïlle, se trouvait une dame dénommée Roncex qui, un jour que sa maîtresse était allée chez les Cordeliers de Thouars, eut grand besoin d’aller en un lieu où l’on ne peut envoyer sa chambrière. Elle appela pour lui tenir compagnie une fille nommée La Mothe mais, par pudeur et par discrétion, elle laissa ladite Mothe dans la chambre et entra seule dans un cabinet d’aisance assez obscur, commun à tous les Cordeliers. Ces derniers avaient tellement bien marqué ce lieu de leur nourriture, que le siège et tout ce qui se trouvait là étaient couverts du jus de Bacchus et de Cérès passé par le ventre des Cordeliers. Cette pauvre femme était si pressée, qu’à peine eut-elle le temps de lever sa robe qu’elle s’assit, par hasard, à l’endroit le plus sale de tout le cabinet. Elle se trouva alors si engluée, ses pauvres fesses, ses vêtements et ses pieds tellement souillés, qu’elle n’osait plus marcher ni se tourner d’aucun côté, de peur de se salir davantage. Elle se mit alors à crier aussi fort qu’elle put: « La Mothe, mon amie, je suis perdue et déshonorée! » La pauvre fille, qui avait autrefois entendu des contes sur la malice des Cordeliers, soupçonnant que quelques uns se fussent cachés en cet endroit pour abuser de la dame, courut aussi vite qu’elle put, disant à tous ceux qu’elle rencontrait: « Venez secourir madame de Roncex, que les Cordeliers veulent prendre de force dans le cabinet. » Tous se précipitèrent et trouvèrent la pauvre dame de Roncex appelant à l’aide quelque femme pour la nettoyer. Elle avait le derrière nu, craignant d’y frotter ses vêtements et de les gâter. A ce cri entrèrent les gentilshommes, qui virent ce beau spectacle mais ne trouvèrent aucun Cordelier qui la tourmentât, sinon l’ordure qui lui engluait les fesses. Ils se mirent à rire alors que la dame, de son côté, était toute honteuse car, au lieu d’avoir des femmes pour la nettoyer, elle fut servie par des hommes, qui la virent nue, dans le pire état où une femme se puisse montrer. Or en les voyant, elle acheva de souiller ce qui était propre en baissant ses vêtements pour se cacher, oubliant l’ordure dans laquelle elle se trouvait, honteuse qu’elle était de voir ces hommes. Quand elle fut sortie de ce lieu infâme, il fallut la déshabiller et changer tous ses vêtements avant qu’elle ne reparte du couvent. Elle se fût volontiers courroucée du secours que lui apporta La Mothe mais, en entendant que la pauvre fille avait pensé au pire, elle changea sa colère en rire, comme les autres.

(Texte repris de Etudes, revue politique et agricole, n° 3, La Croix-Comtesse, février 2005).

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